Portables : Pour qui sonne le glas
Destinée à lutter contre la criminalité organisée, l’obligation d’enregistrement des cartes téléphoniques prépayées pénalise en premier lieu les réfugiés.
Depuis juillet 2004, les trois opérateurs de téléphonie mobile suisses ont l’obligation légale d’enregistrer les données personnelles de tous les détenteurs ou acquéreurs de cartes à pré-paiement. Conséquence: les quelque 40’000 réfugiés actuellement recensés en Suisse, détenteurs d’un permis F (admission provisoire) ou N (requérants d’asile), ne parviennent pas à enregistrer leur carte SIM.
«Un simple permis de séjour ne suffit pas, confirme Marie-Claude Debons, porte-parole de Orange. La législation oblige en effet les fournisseurs de services de télécommunication à exiger un document qui permet de traverser les frontières». Ainsi, alors qu’un étranger de passage en Suisse peut à tout moment acquérir une carte prépayée sur présentation d’un simple passeport, un requérant d’asile, dont les empreintes digitales ont pourtant été prélevées à son arrivée, ne pourra pas le faire.
Destinée à lutter contre la criminalité, cette mesure fait en outre largement la preuve de son inefficacité: non seulement l’acquisition anonyme de cartes prépayées, voire même de lignes téléphoniques fixes, reste largement possible dans de nombreux autres pays, mais il apparaît clairement que les données recueillies par les opérateurs semblent difficilement vérifiables, l’adresse ne figurant par exemple pas sur les documents d’identité suisses.
«Environ un quart seulement des réfugiés a déposé auprès de notre Office des documents d’identité reconnus, évalue Mario Tuor, de l’Office fédéral des migrations. A ceux-là nous fournissons une copie de leur passeport et une attestation qui permet d’enregistrer ou d’acquérir un portable prépayé». Quant aux autres, ceux qui n’ont pas pu – ou voulu – fournir des documents d’identité valables, ils ont dû s’adapter, en demandant qui à un ami, qui à une connaissance, de bien vouloir enregistrer leur carte SIM sous sa propre identité. «Si la plupart des requérants ont réussi à faire enregistrer leur carte grâce à un proche, constate Nathalie Tibba de ACOR-SOS Racisme, d’autres ont carrément dû payer pour que quelqu’un le fasse à leur place!»
«C’est vrai, certains en profitent pour enregistrer les requérants moyennant compensation financière, confirme-t-on chez Sunrise. C’est difficile à quantifier, mais cela existe!» Avec un risque: prendre en otage ceux qui ne le méritent pas. «Ces mesures chicanières risquent de frapper les mauvaises personnes, déplore Yann Golay de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés. C’est un fait: qu’on le veuille ou non, la plupart des personnes persécutées, donc des vrais candidats à l’asile, sont dépourvues de papiers».
Même son de cloche du côté du Centre Social Protestant: «Certains réfugiés proviennent de pays en conflit comme la Somalie ou la Sierra Leone, qui ne fabriquaient même plus de documents d’identité. D’autres se les sont fait voler par le passeur qui les a sortis du pays, ou même confisquer par leur Etat. En coupant leur Natel, on prive des personnes marginalisées et déracinées d’un moyen de communication essentiel, déplore Yves Brutsch. Pour moi c’est dans l’air du temps: sous couvert de lutte antiterroriste, il y a une intention claire de pénaliser les requérants!»
