Butch-Femme: la Gen Z réinvente le duo culte lesbien

Un soir de septembre au Silver Future. On n’est que lundi mais le bar queer berlinois est plein à craquer. Party Dyke*, gloire locale qui propose calendrier de sorties FLINTA* sur Instagram et iel-même organisateurice de soirées, propose ce soir-là un speed dating en trois rounds: Butch4Femme, Butch4Butch, Femme4Femme. La majorité du public a moins de 30 ans. «Et ce sont surtout des personnes qui ont dans les 20 ans qui revendiquent les identités femme et butch/masc », note Party Dyke*.

Les lesbiennes femmes sont là avec leur maquillage de voitures volées, leurs décolletés profonds et leur bijouterie clinquante; les butch affichent leurs biceps bien dessinés, leurs vestes oversized et leurs nuques rasées. Et puis il y a tou.te.s celleux dont le look se situe quelque part sur le vaste spectre entre fem et butch, mais qui se réclament tout de même de l’une de ces deux identités, en revendiquant une expression plus fluide.

«La dynamique butch-femme est à nouveau très présente aujourd’hui»

Pourquoi une butch n’aurait-elle pas un opulent mulet, du khôl autour des yeux et des bagues à tous les doigts? Et pourquoi une fem n’aurait-elle pas la boule à Z, un survêt à trois bandes et des grosses Doc aux pieds? Lesbiennes, enbys et queers de la jeune génération s’emparent de ces catégories en les réinventant. «La dynamique butch-femme est à nouveau très présente aujourd’hui, notamment sur TikTok et dans les communautés Gen Z», observe Lara Hansen, journaliste spécialisé·e sur les questions LGBTIQA+ et la mode. «Il y a une sorte d’appréciation historique de l’héritage de ces identités.»

Les termes de butch et femme sont apparus dans les années 1950 aux États-Unis, au sein de la communauté lesbienne de la classe ouvrière, dans un contexte sociétal peu enclin à l’acceptation de l’homosexualité. À travers ces catégories à l’apparence très codifiée, les couples de lesbiennes butch-femme sont alors devenus visibles dans l’espace public. Sortir habillée comme un homme, les cheveux taillés comme un homme, c’était, et c’est toujours, s’exposer au danger, de même que pour une lesbienne femme s’affichant au bras d’une butch.

Les couples butch-femme accusés de «copier» l’ordre hétéronormé

Ces deux identités sont éminemment subversives, comme l’explique l’universitaire italienne Irene Villa, chercheuse au Centre de recherches sur les politiques et théories de la sexualité de Vérone: «Les butchs, en rejetant la féminité obligatoire et en revendiquant une masculinité habituellement réservée aux hommes, constituent un défi tant pour la société patriarcale que pour l’hétéro-cisnormativité. Les femmes peuvent sembler moins subversives à première vue, mais je me demande parfois: quoi de plus déstabilisant pour la société actuelle qu’une femme féminine qui ne dirige pas son désir vers les hommes cisgenres, mais vers d’autres personnes queer? Rien d’autre, à mon avis!»

«Cette critique semble se répéter sans cesse!»

Le duo butch-femme, aussi rebelle et sexy soit-il, est pourtant mal aimé au sein de la communauté lesbienne et queer. Ce sont sans doute les féministes de la deuxième vague, dans les années 1970/1980, qui l’ont le plus vivement critiqué. À leurs yeux, ces couples de lesbiennes ne faisaient que copier et reproduire l’ordre hétéronormé. «Je crois qu’il a toujours été considéré comme ringard ou dépassé», estime Irene Villa. «Autrefois c’était parce qu’il était trop patriarcal, aujourd’hui parce qu’il est trop binaire: selon le moment historique, cette critique semble se répéter sans cesse!»

«Quand je vois quelqu’un habillé comme Betty Boop, je me dis: ‘Voilà une gouine’.»

Dans les soirées flinta* à Berlin, le mauvais sort semble avoir été rompu. «Le terme de butch a été réhabilité. Il n’est plus considéré comme quelque chose de laid ou de honteux», estime Party Dyke*. «Et être une lesbienne femme est devenu une identité plus radicale socialement, ou du moins être reconnue comme telle. Quand je vois quelqu’un habillé comme Betty Boop, je me dis: ‘Voilà une gouine’.»

Le renouveau de l’hyperfemme

Il semble loin le temps où l’on vous jetait un regard suspicieux à l’entrée quand on se pointait en robe à paillettes à une soirée meufs. Alors que la lesbienne butch a toujours continué d’exister et d’être célébrée au sein de la sous-culture sapphique, la lesbienne femme a longtemps été perçue comme une hétéro qui s’était trompée de soirée. Et c’est justement cette figure longtemps méprisée et/ou invisibilisée qui vit aujourd’hui sa meilleure vie.

«Britney Spears ou Paris Hilton connaissent une sorte de rédemption après les années 2000 misogynes.»

«Le renouveau de la femme et de l’hyperfemme est étroitement lié à la culture pop. Une nouvelle génération de stars joue avec l’identité féminine avec beaucoup d’assurance, tandis que des icônes telles que Britney Spears ou Paris Hilton connaissent une sorte de rédemption après les années 2000 misogynes, durant lesquelles elles ont été démolies par les médias», note Lara Hansen. «De plus, la mise en scène exagérée et bratty de la lesbienne femme s’oppose à des esthétiques telles que la tradwife ou la clean girl, qui sont redevenues virales dans le contexte de la montée du fascisme.»

C’est cette femme dont, en somme, l’assurance n’a rien à envier à celle d’une butch qui a fait récemment son entrée dans la scène lesbienne et queer. Signes de reconnaissance ? «Un goût pour le maximalisme, le ‘trop’», répond Lara Hansen. «Parmi les codes typiques: une mini- ou maxi-jupe, de l’imprimé léopard, du maquillage extravagant et de longs ongles peints – avec deux ou trois ongles coupés courts.»

En 2001 déjà, 360° s’intéressait au légendaire couple butch-femme et son histoire, l’article est à lire ici.

Publié par

Annabelle Georgen

Correspondante basée à Berlin. Sur Instagram: @annabelle.georgen

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