Filles à pédés

La première c’est J, j’ai 15 ans, on se rencontre à l’école. Les garçons la traitent de pute, elle s’en fout; ils veulent tous coucher avec elle. A la récré on marche ensemble, elle décortique ses rencontres, je bave. Elle prend son pied, s’amuse de son pouvoir de séduction. Plus tard je lirai un article sur les normes de genre intitulé «Le pédé, la pute et l’ordre hétérosexuel». C’est exactement ce que nous étions. Moi, pétrifié d’être nommé ainsi, elle, s’amusant de la charge négative de ce mot. Féministe sans le savoir.

La deuxième c’est L, j’ai 25 ans et je l’aperçois pour la première fois dans un hall d’hôtel berlinois. Elle traverse cet immense lobby, son énergie engouffre tout sur son passage. Je la crois travailleuse du sexe, elle s’en amusera quand je lui confesserai ma première impression à son sujet. En fait elle rejoint un ami que nous avons en commun. Ce soir-là on sort, on danse, la musique nous transperce, on transpire, c’est une sorcière envoutante dont je ne saurai me départir.

La troisième c’est N, quelques mois après la rencontre avec L. On partage un séminaire à l’université. Je ne peux pas ne pas lui parler. Elle ne le sait pas encore mais son énergie est magnétique, elle éclabousse tout sur son passage par sa présence folle et innocente. Totem de mes années d’uni.

Il y a aussi C, et l’autre L, et V à Londres, mais je dois en oublier. A toutes mes filles à pédés, à toutes celles des autres pédés, je vous aime. Sorcières, putes, vieilles filles, trop intellos, pas assez féminines, hors cases, vous m’avez sauvé la vie, vous m’avez montré qu’il était possible de vivre en tant que pute, en tant que pédé.

Publié par

Robin Corminboeuf

Rédacteur en chef

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