L’univers subversif de FRKS

C’est dans l’univers trouble et fascinant du freakshow que FRKS ancre sa dramaturgie. Pas pour en reproduire la violence historique, mais pour en détourner les codes et libérer une parole queer plurielle. «On emprunte au spectacle de curiosité, construit comme une suite de numéros, avec une certaine idée du spectaculaire. Mais on ne fait pas du spectacle pour le spectacle. On veut le questionner», explique d’entrée Igor Cardellini.

Images puissantes et mise en scène poétique

La pièce déroule un dédale d’images puissantes, de tableaux où se succèdent avaleur de sabre, contre-ténor·ice·x·s, danseur·eus·x·es halluciné·e·x·s. Le tout entrecoupé par la voix d’un personnage invisible qui chuchote ses vertiges, ses fièvres, sa solitude. «La forme est très individualisante au départ, mais elle permet aussi, à certains moments, de faire groupe», souligne Tomas Gonzalez. C’est peut-être là que FRKS frappe le plus fort: dans sa capacité à créer du lien là où règne l’isolement, à faire communauté sans gommer les différences.

«Une insulte que l’on détourne et dont on change le sens»

Ce freak, figure centrale du projet, est revendiqué comme une identité politique. «Pour nous, le mot freak sert un retournement de stigmate, une insulte que l’on détourne et dont on change le sens. Un espace suffisamment large pour accueillir toutes les trajectoires qui transgressent les normes», dit Tomas. «C’est peut-être plus vaste que queer et moins réapproprié», ajoute Igor.

«Vers une puissance jouissive»

Sur scène, la scénographie onirique s’anime comme un espace mental. La lumière se tord, les corps apparaissent et disparaissent, des silhouettes surgissent d’une grande toile de soie qui les ré-englobent droit derrière. Le spectacle trace un chemin, une traversée abyssale, de la mélancolie vers une forme d’explosion. «On commence avec une sorte de désolation, puis on va vers quelque chose de plus haut en énergie. Vers une puissance jouissive», précise Tomas.

Déconstruction du regard et réappropriation du corps

C’est par exemple le cas lors d’un numéro où une danseuse se sépare d’un corps féminin monstrueux, avec des mains partout sur elle. «On travaille sur le male gaze et la déconstruction d’une certaine idée de la féminité. On le fait à l’aide d’une chorégraphie qui détourne les codes du striptease ou encore qui se réapproprie une série de poses qui servaient caractériser l’hystérie », nous raconte Igor. C’est le moment coup-de-poing du spectacle, mettant en scène une danseuse littéralement démembrée, en écho aux archives de Charcot et aux sculptures de Louise Bourgeois.

Entre baroque et club culture

La musique joue ici un rôle fondamental: baroque remixé, lyrique queer, nappes électroniques enivrantes. Une matière sonore hybride, pensée comme prolongement des corps. D’un côté, la compositrice Agnese Menguzzato convoque le luth et les harmonies vénitiennes du XVIIe siècle; de l’autre DJ parisienne, TTristana injecte la puissance de la club culture. «Ce sont les sons de nos espaces de vie queer, des lieux où l’on se lie les un·e·x·s aux autres», affirme Igor.

«On voulait mettre en scène cette contagion du public»

Mais FRKS ne se contente pas de fasciner. Il interpelle. Il désarme. Il retourne le regard. Dès l’entrée, un panneau annonce en lettre majuscule: «If you read this, you’re gay» et en plus petits caractères «and if you read this you’re trans as well». Une forme d’invocation magique et provocatrice. «C’est une manière de moquer cette peur de la contagion chez les agent·e·x·s de la haine contre les personnes LGBT. On voulait mettre en scène cette contagion du public et jouer avec, utiliser la passivité des spectateur·ice·x·s, la mettre en tension avec la passivité politique de celleux qui se disent pourtant allié·e·x·s des personnes LGBT», explique Tomas, se référant à un moment où les personnes cis-hétéro sont interpellées et invitées à se “déclarer” à leur tour. Un retournement salutaire, presque jubilatoire.

Une invitation à la transformation

Et que retient-on en sortant de FRKS? Peut-être cette phrase, entendue dans l’obscurité: “Je ne veux pas être accepté·e·x tel·le que je suis, qu’on s’y habitue (un être figé, devenu un « ça »). Je veux être transformé·e·x par toi, et que tu sois transformé·e·x par moi”. «C’est une invitation à se foutre des normes dominantes et à nourrir les liens qui libèrent », résume Igor.

Un désir de contamination traverse la pièce, une envie de rendre contagieux ce pouvoir freaky. Tomas conclut: «Oui, on est des freaks en quelque sorte, et on veut que ce potentiel émancipateur en contamine d’autres». Et si possible, qu’iels en ressortent touxtes un peu plus libres.

Retrouvez FRKS en Suisse romande:
Maison Saint-Gervais, Genève: du 10 au 13 avril 2025
Centre de Culture ABC, La Chaux-de-Fonds: les 10 et 11 mai 2025
Théâtre Benno Besson, Yverdon-Les-Bains: les 22 et 23 mai 2025
Réservations et billetterie sur les sites officiels

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Quitter la version mobile