Selon vous, «Before the poison» est votre œuvre la plus sombre… Pourquoi?
C’est ce que j’aime faire. Et je le fais bien, et Polly et Nick aussi… et donc nous voulions quelque chose de très beau, de très fort et très noir…
Est-il vrai que PJ Harvey vous a demandé de prendre des cours de chant pour enregistrer cet album?
Polly m’a suggéré de voir son coach vocal à New-York parce que certaines chansons sur «Before the poison» ne sont absolument pas dans ma tonalité. Je l’ai vu deux fois et c’était très intéressant parce que j’ai réalisé que je pouvais chanter dans un registre beaucoup plus étendu que je ne le croyais. Je n’avais jamais pris de cours auparavant parce que je voulais éviter de prendre certains tics de chanteurs. Et pour moi le résultat est très étonnant dans l’exploration des graves et des aigus, même si je dois réinterpréter différemment certains morceaux sur scène.
Parmi les titres, vous avez signé «Desperanto», est-ce selon vous le langage universel?
Pour moi, la chanson n’est pas une chose aussi sérieuse que cela. J’aime jouer avec les mots, et cela reste heureusement de l’ordre de la poésie.
Donc tout n’est pas aussi désespéré que cela?
Oh, non, je crois que lorsque j’ai écrit «Desperanto», je pensais vraiment les mots qui me sont venus et aujourd’hui encore, mais c’est assez étrange parce que ma vie privée est très heureuse. Cependant, à l’extérieur de moi, tout ne va pas très bien… D’ailleurs, contrairement à ce qu’on pense généralement de mon travail, je n’écris jamais seulement sur moi et il était très clair, dès le début, que «Before the poison» exprimerait quelque chose qui soit hors de moi…
Pourtant cela sonne encore et toujours très introspectif et intimiste?
Oui, je sais et c’est inhérent à ma personnalité, mais c’est malgré tout le disque le plus extérieur à moi-même que j’aie jamais écrit. Bien sûr tout mon travail évoque mes propres émotions. Mais j’ai vraiment le sentiment que le monde n’est pas dans une très bonne voie et c’est probablement aussi le disque le plus politique que j’ai fait depuis longtemps.
Qu’est-ce que vous avez voulu exprimer par ce titre: «Before the poison»?
On peut décider pour soi-même, mais au départ l’idée m’est venue après cet attentat au gaz dans le métro au Japon. J’ai essayé d’imaginer ce qu’on peut ressentir face à une telle situation.
Pensez-vous que le monde s’empoisonne lui-même?
Oui. Politiquement et écologiquement… Je pense qu’aujourd’hui l’Humain doit faire un pas de géant et changer rapidement son comportement s’il veut avoir un avenir. Et je pense qu’il en est capable. En tant qu’artiste, je ne peux pas changer le monde, mais j’espère écrire des chansons qui touchent certaines personnes et qui peut-être seront entendues?
Vos expériences passées vous ont-elles rendue plus forte aujourd’hui?
Je n’y pense plus maintenant, mais je crois que j’ai toujours été très forte.
Est-ce votre éducation dans un pensionnat religieux qui vous a endurcie?
J’ai recu une très bonne éducation et j’en suis très heureuse, mais l’école ne fait pas tout! L’éducation est un ensemble de choses et ce n’est jamais terminé. Je continue d’apprendre.
Avez-vous appris quelque chose de PJ Harvey et Nick Cave?
C’était un grand plaisir de faire ce disque avec eux. Polly est devenue une très bonne amie. Nick, je le connaissais déjà, c’est aussi un ami. J’ai compris que c’était mieux de travailler en petit comité. Qu’il valait mieux choisir deux ou trois personnes et aller au fond des choses avec elles.
Après votre autobiographie, aimeriez-vous écrire un nouveau livre?
Oui, le jour où j’aurai le temps, j’aimerais beaucoup écrire un livre sur l’histoire d’amour de mes parents.
Etaient-ils très amoureux?
Non, c’était plutôt une sorte de non-amour.
Qu’entendez-vous par là?
Je ne vais pas vous le raconter avant de l’écrire… Tout ce que je peux dire c’est qu’ils ont été amoureux à un moment donné et puis cela a cessé. Je dirais que leur histoire s’est fondée sur la base d’un instant amoureux.
A l’écoute de «Crazy love», on pourrait dire que l’amour est une sorte de folie?
Oui, je le pense. Je ne sais pas comment sont les autres, je ne suis pas experte en la matière, mais j’aime cette idée que l’amour est proche de la folie.
Etes-vous amoureuse?
Oui, je le suis depuis longtemps… Etre amoureux, c’est toujours très dur aussi. C’est un vrai travail sur soi.
Que pensez-vous léguer à travers votre œuvre?
Ce que je donne? C’est mon travail, mes chansons, mes performances scéniques… mais je ne me vois pas continuer éternellement. C’est très dur et épuisant, j’adore les tournées pour le bonheur d’échanger avec le public, mais j’ai horreur de passer ma vie dans les transports.
En tant qu’artiste, comment considérez-vous votre travail?
Le mieux est de continuer à le faire et de le perfectionner chaque fois. Et je crois que c’est le cas, que mes disques sont toujours de mieux en mieux.
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Faithfull pour les nuls
Fille d’un major de l’armée britannique et de la baronne autrichienne Eva Erisso, Marianne Faithfull sort du couvent à l’âge de 17 ans, en 1964. La même année, lors d’une soirée, elle est remarquée par le manager des Rolling Stones qui lui fait enregistrer As tears go by. Le titre est immédiatement propulsé dans les charts. S’ensuit une période jalonnée de morceaux- culte, d’apparitions au théâtre et au cinéma, mais aussi de tumulte. Retirée dans les années 70, elle revient en 1979 avec un album inattendu: Broken English qui affirme sa singularité. En 1994, elle publie une autobiographie intitulée Faithfull et, en 1998, son interprétation des Sept péchés capitaux de Kurt Weill remporte un succès mondial. Entre Kissin Time et Before the poison, ses deux derniers albums aux multiples collaborations, dont Beck et Etienne Daho. Elle renoue avec le cinéma dans Intimité de Patrice Chéreau et Marie-Antoinette de Sofia Coppola, sur nos écrans en 2006.
