Il y a eu des shows bien produits, des voix bien posées, des lumières bien réglées. Très bien. Mais au-delà du “très bien”, il y a eu des instants de vérité: ceux où le décor se fissure, où l’imprévu prend le micro, où le queer s’invite sans prévenir — pas comme tendance, mais comme force de disruption. Trois moments. Trois uppercuts. Trois raisons qui confirme que le Montreux Jazz Festival n’a rien perdu de sa magie.
FKA Twigs l’entremetteuse de fiancaille queer
Sur la Scène du Lac dimanche, l’orage était censé être passé. Mais non. Un dernier grondement. Et bam: FKA Twigs débarque.
Trois actes intenses (The Practice, State of Being, The Pinnacle), un crew de danseur·euse·x·s qui fusionne la grâce et la transe, et une chorégraphie physique à faire pâlir un cours de yoga vinyasa sous MD. On a cru à un opéra posthumain. On a eu un show queer de haute voltige (show de pole dance inclu).
Mais surtout: cette parenthèse inattendue, mi-comédie romantique, mi-théâtre queer d’improvisation.
« Toi aussi, t’es bien monté ?»
James, danseur·euse·x du crew, s’approche du public. Iel vanne. Iel flirte. Iel présente son collègue Jaxon au public comme étant « très bien monté ». Puis iel avise un spectateur au premier rang et lui balance: « Toi aussi, t’es bien monté ? »
Gros malaise hilarant dans l’audience. Énorme tension sexy au premier rang. Et alors que le show s’apprête à repartir dans la lumière tamisée, FKA Twigs tend le micro:
« Would you like to marry me, James? », lance la personne dans le public.
La foule en délire. FKA Twigs en entremetteuse se marre.
Les deux échangent leurs Insta. La foule rugit. Et la performance reprend comme si de rien n’était.
C’est ce moment-là qu’on retient: pas la danse millimétrée, pas les lumières divines — mais cette faille queer dans le réel, absurde, magique, où l’amour, le désir et la performance se confondent dans un fou rire collectif. Iconic.
Yseult met les podiums VIP en PLS
Le Montreux Jazz Festival aime les voix lisses, les pianos doux, les émotions rentrées dans de jolis costumes. Samedi soir, iels ont eu Yseult. Et ça ne s’est pas super bien passé pour tout le monde.
Pas de piano-voix. Pas de robes de gala. Yseult débarque comme une apparition punk: gants cloutés, filet noir sur le corps, blouson à franges, et une bande-son cradingue entre grunge, metal et punk. Elle prévient:
«Oubliez tout ce que vous connaissez de moi. Ce soir, je veux que vous transpiriez.»
Et là, le spectacle bascule.
Une partie du public reste bouche bée. Une autre commence à fuir. On va pas se mentir c’est les podiums VIP qui se vident, comme un brunch bourgeois face à une manif de sans-papiers. Trop de bruit, trop de noirceur, trop de sincérité. Trop de réel. Trop de Yseult.
Et elle le voit. Elle le sent. Elle le provoque.
«Ça doit faire bizarre de me voir comme ça… J’ai évolué. La meuf Pokémon.»
Elle crie, elle sue, elle plante des clous dans la façade lisse du festival avec chaque morceau de Mental, son projet solo le plus abrasif. Ce n’est pas fait pour plaire. C’est fait pour brûler. Ce n’est pas un show, c’est la revendication d’une artiste indépendante qui veut juste explorer librement les genres. Et elle le fait avec brillo.
Seule déception? Pas de vrai band de metal live derrière elle. Elle l’aurait mérité, pour appuyer la rage. Mais malgré l’absence de guitares sanglantes, elle fait tout péter. Et quand Gasolina explose dans les enceintes en fusion reggaeton-néoperreo, tout le monde se déhanche. Même les plus snob·es.
Pas besoin de validation, pas besoin de courbettes. Yseult n’a pas pris la scène. Elle l’a arrachée.
I Am Roze, le coup dans le coeur du Montreux Jazz Festival 2025
Le Casino de Montreux, c’est une salle basse de plafond, moquette épaisse, un peu vieillotte. Tu t’y assieds comme dans un confessionnal. Et c’est exactement ce que ça devient.
Vendredi, I am Roze entre, Keffieh noué sur l’épaule. Le micro saisi entre ses ongles de 10 cm comme des lames d’amour. Accompagnéex d’un pianiste et d’un guitariste. Pas de machines. Pas de filtres. Juste une voix immense.
Et très vite, on se laisse envelopper. Roze ne “performe” pas. Iel incarne. Iel raconte l’exil, l’ouragan Laura qui a ravagé sa vie, ses luttes de personne raciséex, queer et non-binaire venue du Sud des États-Unis. Mais au lieu de hurler, iel chante avec une précision chirurgicale, une douceur qui ne nie jamais la colère et la lutte.
«I am Roze a fait un des plus beaux shows du festival.»
À un moment, le monde entre dans la salle. Brutalement. Roze s’arrête. Respire. Et balance:
« Free Palestine. Free Sudan. Free Congo. Free Haiti. Free Ukraine. Free the United States. Don’t let fascism win. »
Silence tendu. Et puis la salle reprend:
“Free Free Palestine”, d’abord chuchoté, puis crié.
Dans un festival où le mot “politique” fait parfois trembler les attaché·x·es de presse, I am Roze crée une brèche. Une faille dans la machine. Où le réel remonte à la surface.
« De nos jours c’est parfois difficile de se retrouver dans un festival, de profiter, de parler légèreté alors que dehors, au porte du festival, le monde brûle, et c’est la catastrophe à plein de degrés de la société. Pour autant, I am Roze a fait un des plus beaux shows du festival. Parce qu’iel n’y avait pas cette dichotomie entre ces deux mondes. C’était un concert conscient du monde actuel et politique, on en ressort revigoré·e·x et plein d’espoir. »
— Témoignage d’un·e·x festivali·èr·e·x·s, croisé·e·x à la sortie, encore bouleversé·e·x.
Roze enchaîne ensuite Someone Who Cares, un banger en slow-burn, la fatigue d’exister, et le droit de demander qu’on prenne soin de nous. Et puis termine sur Definition of Happy, comme un baume. Une ode à ne faire aucun compromis sur nos corps, nos identités, nos désirs.
Dans le même temps, sur la grande scène, Diana Ross faisait danser la foule sur des tubes des années 80. Deux mondes parallèles. Deux versions de la fête. L’une insouciante. L’autre lucide. Et peut-être ce soir-là, c’est dans la petite salle étouffante du Casino que la lumière était la plus forte.
Barbara Butch, le 19 juillet à 2h30 du matin: Queer joy assuréex et Muy Lesbienne!
Corine, même jour à 22h30: italo disco et paillettes en overdose
Et retrouve le programme du festival sur montreuxjazzfestival.com>
