Laura Vazquez: une écriture radicale entre poésie, chaos et résistance

Depuis près de 10 ans, Laura Vazquez navigue entre le roman et la poésie à la poursuite d’une œuvre cohérente et exigeante, derrière laquelle elle ne demande rien de plus que de s’effacer. Son deuxième roman, Les Forces, a reçu le prix Décembre 2025.
“J’avais beaucoup de phrases en moi, et mes pensées, je les suivais.”

Ces mots sont ceux de la narratrice des Forces, deuxième roman de Laura Vazquez construit comme un récit d’aventures. L’autrice de 39 ans, qui a grandi dans les Pyrénées-Orientales et s’est installée à Marseille pour se rapprocher du centre international de poésie (CIPM), y déshabille le monde, ses conventions, mais aussi ses lâchetés et ses mécanismes de défense, comme s’il s’agissait d’un grand jeu de dupes. Sa narratrice observe la société et ses processus d’uniformisation, la soumission des êtres à l’ordre social. Dans un bar lesbien, elle rencontre une femme, que sa pensée écorche, met à nu et bouscule, avant que le livre prenne une nouvelle tournure lorsque son personnage pénètre dans une maison des morts, puis dans un immeuble réunissant plusieurs sectes. Dans l’une d’elles, les adeptes récitent, comme des prières, les conjugaisons des verbes “être” et “vivre”.

Lire Laura Vazquez: une expérience plutôt qu’un récit

On serait tenté d’avertir le lecteur, qui ne manquera pas d’être surpris par la prose, poétique, de l’autrice, qu’il ne s’agit pas de mettre ces livres dans n’importe quelles mains, puisqu’on est très loin ici du roman de gare, à la narration et aux images convenues. Mais ce serait peut-être un peu facile d’opposer le populaire, le vulgaire (“vulgus”, le commun”) à la langue travaillée de Laura Vazquez, Prix Goncourt de la poésie en 2023. Car elle aussi propose à son lecteur un voyage aux multiples énigmes. À la différence que le sien se fait au cœur d’une cité de mots construite avec une attention infinie, une rigueur quasi monacale. Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, le voyage de Laura Vazquez est à la portée de tous, à condition de s’entendre sur la promesse de départ : son œuvre entière est une invitation au Khaos grec, à tout ce qui s’engouffre dans les failles de la grande béance de notre difficulté d’être, de notre peur de vivre.

Quelques conseils avant de monter à bord

Ne pas lire Laura Vazquez, mais embarquer avec elle. Accepter de sortir du récit pour ressentir des images, les rythmes des phrases façonnés comme des souffles ou des courants marins. Avancer à ses côtés et accepter de se perdre avec elle. Envisager ses romans – le premier, La Semaine perpétuelle, a reçu la mention spéciale du prix Wepler – comme une expérience sensible. “Je vais te toucher par la pensée”, écrit-elle d’ailleurs dans Zéro, une pièce de théâtre à deux voix, deux femmes, deux amantes, écrite en résidence à la villa Médicis en 2023, et où les mots s’attachent les uns aux autres comme les corps (“je ne me souviens plus très bienje ne me souviens plus très bien oui je me suis énervéeoui je me suis énervée”).

Une écriture tournée vers l’invisible

C’est ce qu’elle proposait déjà dans son “épopée versifiée”, Le Livre du large et du long, publié la même année : “Je vais vous poser une question simple. Quelle est la différence entre une chose là, et une chose pas là ? N’expliquez pas une chose ou l’autre mais expliquez la différence entre les deux. Vous ne pouvez pas dire la présence. Car la présence est la présence.” Traduire l’invisible. Tel est le rôle que se donne la poétesse. Entrer en confrontation avec les forces du monde, sans exception, penser contre et avec lui, capter ses vérités, les coucher sur le papier.

Une autrice sollicitée, engagée, inclassable

En 2024, sensible à la démarche radicale et engagée de l’autrice, l’artiste Rebeka Warrior lui a proposé d’écrire un poème pour la première compilation de son label, Warrior Records. La chanteuse a également fait appel à elle lors de l’écriture de son premier roman autobiographique Toutes les vies, prix de Flore 2025. Aujourd’hui, en plus de son travail d’écriture, Laura Vazquez codirige la revue littéraire Muscle aux côtés de Roxana Hashemi, anime des ateliers d’écriture et donne des lectures de ses poèmes.

“Aucun esprit, aucune conjonction de pensée, aucune figure, aucune substance, aucune personne, aucun être fantasque, aucun surhomme, aucune fantaisie luisante dans les cieux, personne, dit l’enfant, personne ne pourrait imaginer, prévoir, enchevêtrer, construire un tel ensemble”, écrit-elle encore dans Les Forces. C’est justement ce que l’on se dit à la lecture de ses recueils et romans, avant de se laisser prendre par la main, puis par le corps tout entier.

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