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Vêtements et jouets genrés: diviser pour mieux vendre

Vêtements et jouets genrés: diviser pour mieux vendre
Photos Emilie Guest pour la campagne britannique contre les jouets genrés Let Toys Be Toys

À l’approche de Noël, la distinction «fille»/«garçon» tend à disparaître des catalogues et des rayons. Mais les vêtements et jouets genrés demeurent bien souvent présents. Heureusement, de plus en plus de marques brisent les codes.

«Avec deux groupes cibles dans les commerces, les marques ont la possibilité de vendre davantage», explique Kristina Mostovaia, fondatrice de la marque de vêtements Curious Stories, basée en Allemagne. L’idée de la jeune créatrice était de créer des vêtements neutres, qui ne prédéfinissent pas l’identité de l’enfant qui les portera: «Nous sommes au XXIe siècle, et il est temps que tout cela change. Je vois mon entreprise comme une petite partie du grand changement qui doit avoir lieu». Des dinosaures sur des robes et des pulls de toutes teintes, des perroquets, des chats, mais pas de slogans stéréotypés ou de personnages de dessins animés. Même si de plus en plus de parents se disent lassés des vêtements des rayons garçon aux couleurs ternes et foncées, arborant des voitures et des dinosaures, et des couleurs pastel du rayon fille, il est dur d’y échapper: «C’est un cercle vicieux, avec beaucoup de marketing et des stéréotypes véhiculés par les médias», regrette la créatrice d’Aix-la-Chapelle. «Si un parent parvient à habiller son bambin différemment durant ses premières années, l’enfant perçoit rapidement les codes véhiculés par la société et manifeste prestement l’envie de s’y conformer.»
 
Jusqu’à la fin du XIXe siècle, les bébés et les enfants de moins de six ans portaient pourtant des vêtements similaires: robe de coton blanc facilitant le change et emmaillotage pour les bébés. Julie Billaud, professeure d’anthropologie à l’Institut de hautes études internationales et du développement souligne également que dans beaucoup de sociétés traditionnelles, «les enfants n’ont pas d’identité de genre jusqu’au passage d’un rituel, à l’âge de la puberté». Rien ne justifie en effet, du point de vue anatomique, une différenciation des vêtements avant l’âge de 8-10 ans.
 
Trop d’injonctions vestimentaires pour les filles
C’est pour lutter contre les stéréotypes de genre véhiculés par les vêtements que la Direction générale de l’enseignement obligatoire du canton de Vaud a lancé une campagne sur ce thème en 2019, dans le cadre de la Journée oser tous les métiers. La brochure mise au point pour l’événement annuel souligne notamment que les notions de confort et d’aisance «ont mis bien du temps à apparaître dans les garde-robes féminines». Même si les laçages et autres armatures ont disparu des vêtements pour femmes, la brochure dénonce le fait que les filles continuent à subir davantage d’injonctions vestimentaires que les garçons. «Une personne vêtue avec des habits non genrés aura tendance à sembler masculine, selon les normes actuelles», déplore l’ouvrage. De ce fait, les héroïnes féminines sont encore trop souvent représentées avec «des attributs clairement féminins» dans les livres et publications pour enfants. L’outil pédagogique contient également des listes de questions permettant d’animer des discussions autour de cette thématique, en incitant les élèves à prendre conscience de l’évolution des codes vestimentaires et à s’interroger sur les stéréotypes qu’ils véhiculent.

A Zurich, la Mogli Chinderlade, petite enseigne fondée il y a plus de trente ans, propose des vêtements éthiques pour enfants, différents de ceux de la plupart des grandes enseignes. Outre des marques anglo-saxonnes, scandinaves et allemandes cassant les codes, on y trouve également des vêtements tricotés à la main provenant de petits ateliers des environs. Marisa Pilet, gérante de la boutique, explique que sa clientèle se compose principalement de personnes relativement à l’aise financièrement, attirées par une mode éthique de qualité. «Beaucoup disent aussi chercher autre chose que du rose pour les filles. J’ai toutefois toujours quelques pièces roses, et ce sont malgré tout celles qui se vendent le mieux», admet la commerçante. Elle observe qu’avant même l’âge d’entrée à l’école, les enfants sont demandeurs de vêtements plus genrés. «Il est donc plus facile de vendre des habits un peu différents dans les tailles 0-2 ans.»

© Curious Stories

 
Au Moyen-âge, le bleu clair était, en Europe, la couleur des filles, rappelant la pureté de la Vierge Marie, tandis que le rose et le rouge étaient celles des chevaliers. Jusqu’à la première moitié du XXe siècle, les jouets et autres accessoires n’avaient quant à eux aucune couleur particulière, si ce n’est celle du matériau dans lequel ils étaient fabriqués. Dînettes et landaus étaient reproduits dans des teintes identiques à ceux de la vraie vie, et les cartables des écolier·ère·x·s étaient faits de cuir ou de carton bouilli puis ciré. Si dès les années 80, les cartables deviennent des produits de marque, le clivage entre jouets et accessoires «fille»/«garçon» apparaît surtout dans les années 90.

La lutte contre la surconsommation, les préoccupations environnementales et la prise de conscience quant à la fluidité des genres participent de nos jours à inverser la tendance. En matière de mode enfantine, de grandes enseignes telles que H&M ont lancé des collections non genrées, et la marque britannique Frugi, cassant les codes du genre, a depuis quelques années fait son entrée chez Manor. 
 
«Il n’existe pas d’argument valable justifiant de classer les jouets selon les genres!»
Au Royaume-Uni, la campagne Let Toys Be Toys fait pression sur l’industrie du jouet et de l’édition afin qu’elle cesse de limiter les intérêts des enfants en faisant la promotion de certains jouets et livres comme étant uniquement adaptés à un sexe en particulier. Pour Jess Day, bénévole impliquée dans cette campagne, «il n’existe pas d’argument valable justifiant de classer les jouets selon les genres! Ce n’est pas une attitude bienveillante vis-à-vis d’un enfant, car le message est que certains jeux susceptibles de lui plaire ne lui sont pas destinés». Les fabricants sont cependant nombreux à proposer une version rose ou bleue à l’effigie de la reine des neiges, et une version plus «masculine» de beaucoup de jouets. «Cela poussera une famille ayant acheté un vélo rose pour leur fille à en acheter un nouveau dans une teinte moins “féminine” pour le petit frère», explique Jess Day. «Le but n’est pas non plus de créer une 3e catégorie de jouets “neutres”, mais de signifier que tous les jeux s’adressent à tous et toutes.»

Depuis quelques années, les choses évoluent toutefois, se réjouit l’activiste britannique. Le fait que Lego, leader mondial du marché du jouet, montre l’exemple aura certainement un impact selon elle. L’entreprise a en effet annoncé que ses jeux seraient désormais testés par des groupes d’enfants mixtes, et a présenté le 27 octobre dernier une nouvelle génération de Lego Friends plus inclusifs, censés permettre à chaque enfant de s’identifier aux figurines.
 
Si les indications «jouets filles» et «jouets garçons» ont disparu des commerces depuis quelques années, on note encore trop souvent la distinction entre un espace tendant vers le bleu et un second aux tons pastels. Les petites enseignes indépendantes, telles que le Vivishop (rue Louis-Curtat 8) à Lausanne, échappent à la tendance. Il y a cinq ans, Nicolas Lequier a repris le magasin qui fête cette année ses 50 ans d’existence. Il explique que les jouets y ont toujours été rangés par domaine d’activité. Pas de Barbie, ni de Playmobil dans ce commerce qui propose une panoplie de jeux extrêmement variée, dont des articles de musique, du matériel pédagogique et des livres.
 
«En dissuadant un enfant d’entreprendre certains jeux et activités du fait de son genre, on l’empêche de développer certaines compétences et aptitudes», insiste Jess Day. Elle note par ailleurs les progrès effectués par les fabricant·e·x·s de jouets, dont les départements «jouets fille» et «garçons» tendent à ne faire désormais plus qu’un. Les catalogues de Noël, qui mettent maintenant en scène des groupes d’enfants mixtes autour de leurs articles participent également à cette évolution. Reste à voir si la société suivra le mouvement, en songeant éventuellement à boycotter les chaises-hautes roses, dînettes mauves et autres vêtements à slogans genrés…