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Mission équité pour les métiers de l’«agriqueerture»

Mission équité pour les métiers de l’«agriqueerture»
Photo: K.Edblom/flickr CC

On entend souvent la notion de «safe space», un endroit dans lequel on se sent en sécurité. Loin des villes, la campagne et les métiers agricoles en représentent-ils un pour les communautés queer? Quelques éléments de réponses sur le terrain.

En juin 2021, la presse people annonçait le mariage de Mathieu et Alexandre dans le Gard (France). Le couple s’était rencontré devant les caméras lors de la 15e saison de l’émission de téléréalité L’Amour est dans le pré. Mathieu est manadier, ce qui veut dire qu’il gère un élevage de taureaux. Uni pour le meilleur et pour le pire, le couple est exploité telle une poule aux œufs d’or pour la chaîne. Mais au-delà de l’effet «chabadabada» scénarisé par M6, cette soudaine visibilité d’un couple gay à l’écran n’est pas anodine.

En même temps que les deux hommes se disaient oui, situé à l’opposé d’intérêts capitalistes d’audience, sortait en juin la brochure Embrasser la diversité rurale – Genres et sexualités au sein du mouvement paysan, recueillant de nombreux témoignages de personnes LGBTIQ+ travaillant dans l’agriculture, principalement en Europe. L’objectif du projet initié par la Coordination Européenne Via Campesina «est né d’une réflexion en 2015 autour de la diversité de genre et sexuelle au cœur du mouvement paysan, dans le cadre de la lutte pour l’équité et la justice en Europe, et au-delà», peut-on lire en préambule dans la publication. 

«Arrêter de ne pas dire»
Jean-Baptiste (iel/ellui) fait partie des personnes témoignant dans le livret. À 37 ans, il a repris la ferme familiale en polyculture avec son frère dans laquelle il s’occupe des vignes. En pleines vendanges, il trouve le temps d’échanger sur son retour en Dordogne, à un peu plus d’une heure de Bordeaux. Il ne regrette pas ses années parisiennes. «C’est pas le même monde. Vivre à la campagne, éloigné des grandes villes et des milieux LGBTIQ+ ne me frustre pas, dit-il. Je ne ressens pas le besoin de sortir, c’est une question de personnalité.» La sérénité qu’il affiche dans sa vie privée et sa vie professionnelle n’est pas sans prix à payer. «Je ne rencontre pas de grosses difficultés dans mon job en raison de ma sexualité, pour moi tout va bien. Concrètement, sans vivre dans le secret, je ne suis pas quelqu’un d’«affirmé». Arrêter de ne pas dire, c’est ce qui m’a décidé de témoigner quand Via Campesina me l’a proposé. J’ai beaucoup réfléchi et j’ai pensé que ma contribution pourrait potentiellement servir à d’autres. C’est mon action militante.»

Avant de retourner à ses vendanges, il précise qu’il ne regarde pas L’Amour est dans le pré et qu’il n’a pas d’opinion sur les éventuels clichés véhiculés dans l’émission par le couple gay en milieu rural. «Tout dépend du montage, on fait ce qu’on veut avec des images de télé et on reste sur une médiatisation clivante. Toutefois, le fait d’en parler est une bonne chose.»

«Mes potes trans* dans l’agriculture sont régulièrement attaqué·e·x·s»

Plus près de chez nous, Betty travaille dans une structure qui produit des plantons maraîchers bio à Genève. D’origine allemande, Betty a 40 ans et ne se définit par aucun pronom. Dans son témoignage, Betty dénonce la violence du monde hétéro cis patriarcal, encore très ancrée dans les milieux de l’agriculture: «Après une année dans une ferme traditionnelle, j’ai fait en sorte de toujours trouver un endroit plus ouvert. Le seul moyen de travailler dans l’agriculture pour moi, ce sont les structures collectives et alternatives, où je rencontre une vraie volonté de construire quelque chose ensemble.» En plus des questions de genre et de la diversité sexuelle, Betty y trouve un écho à ses réflexions sur la décroissance et une critique du capitalisme du système agro-industriel.

Mes potes trans* dans l’agriculture sont attaqué·e·x·s en permanence. Et là, c’est grave

Question équité, Betty se réjouit de l’évolution des nouvelles générations, qui se posent les questions différemment. Malgré tout, il reste beaucoup de chemin à faire. «Dans les milieux traditionnels et conservateurs, la femme va gérer 17 tâches par jour pendant que l’homme en gère 4. On est encore loin du compte!» Quant aux discriminations liées à sa sexualité, Betty en fait malheureusement encore l’amer constat dans sa propre vie professionnelle: «Je n’en trouve pas la raison… Parce que je suis une meuf ou que je couche avec d’autres meufs? Est-ce en raison de mon apparence non binaire? Il s’agit certainement d’une multitude de raisons liées aux questions de genre. Par contre, mes potes trans* dans l’agriculture sont attaqué·e·x·s en permanence. Et là, c’est grave.» C’est pour ces personnes-là que Betty a accepté de témoigner dans la brochure. «Il faut parler, mettre ces sujets sur la table. L’échange est très important. Cette possibilité de prendre la parole nous permet de gagner en réseau, comme lors de cette vidéoconférence à échelle internationale avec plus de 100 personnes concernées, pour le lancement de la publication.» Si la peur ne l’a jamais empêché·e·x de s’exprimer ni contraint·e·x à se cacher, Betty rappelle que dans certains pays comme le Brésil, les communautés LGBTIQ+ dans les milieux paysans craignent pour leur vie. 

«Ce contexte hétéro-normatif isole les personnes LGBTIQ+»
Paula est Brésilienne, elle est apicultrice dans une ferme communautaire près de Berlin en Allemagne. Elle a 41 ans. C’est elle qui a coordonné le projet éditorial de la Via Campesina. D’emblée, elle précise qu’il s’agit d’un vrai travail réalisé en commun. Elle aborde le thème de la solitude, parfois très pesante dans les milieux agricoles, accentuée chez les personnes queer. «Les réalités rurales sont très différentes des zones urbaines, à commencer par les distances géographiques plus longues, autant pour la vie sociale que les activités culturelles. Ce phénomène est indépendant de la sexualité ou du genre. D’autre part, il s’agit souvent de travaux lourds, pour lesquels on ne compte pas nos heures. Dans ces conditions, entre vie privée et professionnelle, tout se mélange. Dans ce contexte hétéro-normatif, il est effectivement compliqué de ne pas se sentir isolé·e·x pour une personne LGBTIQ+.» Elle constate que dans certaines régions du monde comme l’Asie et l’Afrique, il est plus compliqué d’identifier des personnes LGBTIQ+ paysan·ne·x·s, non parce qu’elles n’existent pas mais parce qu’elles se cachent pour différentes raisons, souvent religieuses. «Pourtant dans le passé, dit-elle, dans plusieurs communautés indigènes avant la colonisation, on traitait de manière complètement différente l’homosexualité et la transexualité. On donnait un rôle spécial aux personnes intersexuées, en charge de créer des ponts sociaux à plusieurs niveaux au sein de la communauté. Puis le christianisme est arrivé avec le colonialisme…»

Il est extrêmement important que nous fassions partie du mouvement, que nous soyons fier·ère·x·s d’êtres paysan·ne·x·s. Créer un groupe dissident qui mettrait en avant ses propres sujets ne sert à rien, sinon à ostraciser

Paula n’a jamais cherché à intégrer une ferme queer. Elle souhaite faire partie d’un projet en étant acceptée comme elle est, sans s’isoler dans une bulle LGBTIQ+. «Je ne veux pas être une personne dont la sexualité dépasse tous les autres aspects. Je pense qu’il est extrêmement important que nous fassions partie du mouvement, que nous soyons fier·ère·x·s d’êtres paysan·ne·x·s. Créer un groupe dissident qui mettrait en avant ses propres sujets ne sert à rien, sinon à ostraciser. C’est ainsi que nous atteindrons nos objectifs communs, en tant que mouvements paysans. On doit stimuler les interactions avec d’autres groupes, se renforcer mutuellement et profiter des expériences des un·e·x·s et des autres.» Pour conclure, Paula cite Beth, agriculteur·trice au Royaume-Uni qui dit dans son témoignage: «Par le passé, j’étais contraint·e de laisser une partie de moi-même pour faire partie de la lutte dans mon pays où le travail représente une alliance. Maintenant, je me sens entier·ère et je peux contribuer avec beaucoup plus de force sans plus me cacher.» De l’invisibilité à la visibilité, les personnes LGBTIQ+ s’émancipent de plus en plus de leur étiquette genrée dans les métiers de l’agriculture, en bonne voie pour gagner la partie de bras de fer pour être considérées comme des personnes à part entière et prouver ainsi que dans un contexte professionnel, la confiance accordée ne devrait dépendre que de la qualité de du travail.