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Quelques bulles de fantaisie

Quelques bulles de fantaisie

Simona Maier secoue joyeusement le monde un tantinet figé du vin. Élue en 2019 princesse des vins de Bade, cette jeune femme trans sillonne l’Allemagne pour parler de sa pétillante passion.

Elle arrive toute pimpante dans son dirndl bleu gris, tirée à quatre épingles – elle est brièvement de passage à Berlin pour participer à une dégustation de vin en qualité de princesse des vins de Bade – et s’excuse, quand on lui demande ce qu’elle veut boire, de porter son choix sur un demi-litre de bière blonde. Elle, l’ambassadrice du vin allemand, la reine du vin pétillant. Simona Maier, 29 ans, est à la tête de la Weinmanufaktur Heiligenstein, au sud d’Heidelberg, dans le Bade-Wurtemberg, qu’elle a fondée en 2014. Quatre hectares de vignes, pour une production annuelle de 30’000 bouteilles. Simona fait tout toute seule, en comptant sur l’aide de sa mère en coulisses, de la vigne à la bouteille, du tracteur à la cave, en passant par le marketing.

Sur son site internet, elle évoque sa transidentité de manière décomplexée, volontiers lyrique: «Ma vie ressemblait à un vin pétillant sans bulles. Je me suis rendue compte qu’il y avait depuis longtemps quelque chose de pétillant à l’intérieur de moi, une jolie bulle qui voulait remonter à la surface. Je n’ai jamais été Simon, je suis Simona: la belle et captivante […] bulle du vin pétillant.»

Quand elle s’est lancée dans des études de viticulture et a décidé de professionnaliser l’exploitation familiale – avant elle, son père, jardinier de métier, se contentait de vendre son raisin à une coopérative locale – Simona, qui s’appelait à l’époque encore Simon, a décroché le titre de meilleur apprenti viticulteur d’Allemagne en 2013, puis celui de meilleur viticulteur du Bade-Wurtemberg deux ans plus tard. C’est l’année suivante que Simona a fait son coming out auprès de ses proches: «Je savais depuis l’adolescence que j’étais une femme, mais je n’osais pas en parler autour de moi. J’ai attendu de passer mon bac pour faire mon coming-out, mais mon père est mort à ce moment-là, et il m’a fallu six années de plus pour sauter le pas», explique la jeune femme. Début 2017, en rentrant du défilé du carnaval, elle décide de garder aux pieds les hauts talons qu’elle portait: «À ce moment-là, j’ai décidé que Simona serait désormais toujours là», se souvient-elle.

«On ne s’engage pas dans une transition pour des raisons marketing, c’est une voie tellement difficile.»

Faire son coming-out dans le petit village de 5000 âmes où elle vit ne fut pas une mince affaire, de même que dans le monde du vin allemand, où «tout le monde se connaît». La jeune femme s’est même vue reprocher par certains confrères de médiatiser sa transition «pour des raisons marketing». Elle s’en indigne encore: «On ne s’engage pas dans une transition pour des raisons marketing, c’est une voie tellement difficile.»

Aujourd’hui, après avoir achevé sa transition, Simona se sent pleinement à l’aise dans son métier de viticultrice: «J’ai joué un rôle pendant des années. J’avais l’air très masculin. S’il existait un oscar qui récompense vingt ans à jouer un rôle dans la vraie vie, il faudrait me le donner. Jouer ce rôle était très fatiguant et cela se répercutait sur mon travail et ma créativité. Aujourd’hui, quand je travaille en cave, je mets de la musique que j’aime, je sautille à travers la cave, je goûte le vin et je fais l’assemblage d’une manière plus libre et créative qu’avant.»

Rêve d’enfant
Elle a lancé deux vins mousseux, un blanc et un rosé, «Bunte Liebe» et «Rosa Liebe», pour célébrer sa transidentité et la communauté LGBT*. L’étiquette du premier est ornée d’une licorne arc-en-ciel, celle du second d’un dessin représentant Simona vêtue de sa couleur préférée, le rose: «Cela parle de moi, de mon amour pour le rose, du féminin qui était toujours en moi», explique Simona dans un sourire. «C’était clair pour moi quand j’ai fait mon coming-out que j’avais envie de le célébrer, et d’envoyer un message d’amour, de liberté et de compréhension des autres, ce qui manque aujourd’hui dans notre monde.»

Simona a également réalisé un de ses rêves d’enfant: devenir princesse du vin. «Quand on nous demandait au jardin d’enfant ce qu’on voulait faire plus tard, les garçons répondaient «policier» ou «pompier», moi je disais «princesse du vin», ce qui faisait rire les autres enfants», se souvient Simona. Elle a été élue princesse des vins du Kraichgau en 2018, avant d’être couronnée princesse des vins de Bade en 2019. Son enthousiasme débordant et la façon décontractée qu’elle a d’aborder son identité trans ne sont pas du goût de tous dans le monde du vin allemand, qui reste assez conservateur et toujours dominé par les hommes. Simona a dû par exemple essuyer plusieurs fois des remarques transphobes dans le cadre de sa mission en tant que princesse des vins de Bade et constate qu’elle est moins souvent invitée à des événements sur le vin que sa consœur cisgenre.

Prendre ses distances
Malgré ces brimades, elle ne se départ pas de son grand sourire et de sa cool attitude. Et espère qu’un jour viendra où les médias, toujours friands de formules, ne l’appelleront plus systématiquement «la viticultrice arc-en-ciel»: «J’aimerais bien aussi prendre mes distances vis-à-vis de ce sujet», confie Simona. «Je serai toujours là pour la communauté LGBT* mais en ce qui me concerne ma transition est derrière moi, je suis arrivée là où je voulais. Je n’oublierai jamais qui je suis, mais je souhaite désormais poursuivre ma vie tout à fait normalement.»