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De l’art du frappé de chaussure

De l’art du frappé de chaussure

Depuis deux décennies, le groupe gay Schwuhplattler explose joyeusement les schémas hétéronormatifs du folklore bavarois. Reportage à Munich.

La salle de bal de l’auberge du Bavariapark est pleine à craquer. Autour des grandes tablées, les chopes de bière s’entrechoquent, les corbeilles de bretzels se vident. Presque tous les convives ont revêtu l’habit traditionnel – Dirndl pour les femmes, Lederhose pour les hommes – pour célébrer comme il se doit le Maitanz, du nom de ces bals traditionnels dont résonne la Bavière au début du mois de mai pour fêter le retour des beaux jours. Sauf que ce bal-là diffère quelque peu des autres. C’est celui des Schwuhplattler, une troupe de danseurs munichois qui ont pour point commun d’aimer les hommes et les traditions bavaroises. Quasiment impossible à prononcer pour les non-germanophones, leur nom est un jeu de mots, une contraction des termes schwul (gay en allemand) et Schuhplattler, une danse folklorique typique des Alpes bavaroises.

Peu après l’ouverture du bal, une vingtaine de danseurs entrent en scène, sous les clameurs et les applaudissements de la foule. Culottes de peau, bretelles brodées d’edelweiss, chapeaux tyroliens, toupets, grandes chaussettes de laine mettant en valeur le galbe du mollet… Rien ne manque à la panoplie des Schwuhplattler. Ils exécutent avec adresse un de leurs Plattler, frappant leurs cuisses et la semelle de leurs chaussures du plat de leurs mains, parfaitement en rythme avec la musique de l’orchestre traditionnel. Ils disparaissent au bout de quelques minutes, tandis que le maître de bal invite les couples présents dans la salle à danser une valse. Au milieu des couples hétérosexuels, les couples d’hommes sont de plus en plus nombreux au fil de cette soirée rythmée par les apparitions des Schwuhplatter, les danseurs de la troupe se mêlent peu à peu à la foule.

«Au début, ce costume, c’était comme un déguisement pour moi, c’était comme si j’étais travesti» Stéphane

«On ne peut pas danser plus de quelques minutes d’affilée, car on est très vite essoufflés», glisse un des danseurs, Stéphane, en savourant une cigarette dans le Biergarten de l’auberge. «Ça a l’air assez simple mais c’est très fatiguant. Il faut être très sportif, c’est de la surendurance», explique cet enseignant franco-allemand de 47 ans qui a grandi dans la Sarre et qui est «tombé amoureux» du Schuhplattler lorsqu’il s’est installé à Munich au début des années 2000. «Au début, les traditions bavaroises ne m’étaient pas familières. Je les trouvais étranges et les costumes traditionnels me paraissaient un peu louches, un peu conservateurs», se souvient Stéphane. Jusqu’à ce qu’il se risque un jour à en essayer un et qu’il soit séduit par son reflet dans le miroir. «Au début, ce costume, c’était comme un déguisement pour moi, c’était comme si j’étais travesti», confie Stéphane. «Mais au fil des années, ça devient de moins en moins un déguisement.» Même s’il vit désormais à Leipzig, il continue de faire partie de la troupe et se rend régulièrement en Bavière: «Je ne pourrais pas vivre sans le Plattler et Munich», glisse-t-il dans un sourire.

Grands coqs de bruyère
Un autre danseur, Christian, 37 ans, fait la liste des qualités requises pour devenir un bon danseur: «De la coordination, une tension corporelle incroyable, et au début une grande capacité à souffrir! Quand j’ai commencé à apprendre cette danse, j’ai cru que je m’étais cassé tous les doigts en frappant sur mes chaussures. Et mes cuisses étaient couvertes de bleus. Avant de trouver la bonne manière de frapper, suffisamment sonore mais sans se faire mal, il faut passer par quelques souffrances.» Cette danse typiquement masculine tirerait son origine de l’opulente parade amoureuse à laquelle se livrent les grands coqs de bruyère en période de reproduction, explique Sepp Stückl, 65 ans, le fondateur de la troupe: «D’après les recherches qui ont été menées sur le sujet, les jeunes garçons qui allaient dans la forêt pour chasser ou couper du bois auraient observé leurs mouvements et de retour au village, auraient tenté de les reproduire en dansant, en sautillant, en bondissant et en frappant des mains… Pour impressionner les filles!»

Cet employé de banque à la retraite a créé la troupe en 1997 à Munich. Sepp Stückl est tombé dans le Schuhplattler quand il était tout petit. Il s’est découvert très jeune une passion pour cette danse et s’est engagé pendant de longues années au sein de l’association de danse folkorique de Uffing am Satffelsee, le village où il est né et habite toujours. Il lui aura par contre fallu beaucoup plus de temps pour réaliser qu’il était gay. Après avoir fait son coming out à l’âge de 31 ans, il s’est retrouvé isolé au sein du village, et a dû se résoudre à quitter la troupe locale face à l’homophobie ambiante. En fondant une troupe de danseurs de Schuhplattler ouvertement gay, Sepp Stückl s’est donné pour mission de rendre les homo plus visibles dans une Bavière encore très conservatrice et dominée par la religion catholique. «Au début, il n’y avait pas internet, donc c’était mon numéro de téléphone qui figurait sur les publicités. J’étais alors une sorte de téléphone rose, les gens m’appelaient plus pour parler de leur vie en tant qu’homo que de danse», se souvient-il amusé. «Aujourd’hui encore, je croise des gens qui me disent: ‘On s’est déjà parlé au téléphone!’»

Méfiance
Même si les Schwuhplattler ont désormais acquis une grande renommée en Bavière et se sont déjà produits aux États-Unis, en Italie, aux Pays-Bas – et même en Suisse, à Zurich, au festival Warmer Mai – cela n’empêche pas la troupe d’être confrontée à des préjugés, explique Sepp Stück: «Nous avons eu souvent des problèmes avec les associations folkloriques dans les villages, parce qu’elles pensaient que nous tournions en dérision les traditions. Mais quand ils nous voient, en général tout rentre dans l’ordre.» À la fin de la soirée, alors que les derniers spectateurs quittent la salle en emportant les bouquets de lilas qui ornaient les tables, un aficionado du Schuhplattler nous glisse dans un sourire énigmatique: «C’est comme de la méditation. Quand je danse, c’est comme si je flottais à quelques mètres au-dessus du sol.»

» Les Schwuhplatter célèbreront leurs 20 ans d’existence en dansant le 14 octobre 2017 à 19h dans la salle des fêtes de la Hofbräuhaus, à Munich. Plus d’infos sur schwuhplattler.de