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Slip à poche: un Eros très discret

Slip à poche: un Eros très discret

Sous-vêtement masculin par excellence, le slip en coton fait tout pour se faire oublier. Mais rien à faire: fashion ou crade, son érotisme remonte régulièrement à la surface de l'élastique.

Au matin du 9 novembre dernier, un agriculteur français des Landes ne pensait pas devenir instantanément une icône. Il a suffi à ce solide sexagénaire de bondir de son lit en slip bleu à carreaux et d’empoigner sa pelle pour aller chasser des écologistes sous l’objectif de quelques photographes, et hop, voilà «l’homme au slip» bombardé sur tous les réseaux. Parions que personne n’aurait parlé de lui s’il était sorti en caleçon ou en training. Etait-il ridicule? Pas autant que les défenseurs des oiseaux affolés qu’il a fait déguerpir.

De fait, il y avait quelque chose de troublant dans l’apparition de cet accessoire masculin (le slip, pas la pelle) dans l’actualité. Cela tenait peut-être à ce slip lui-même: en l’occurrence ce modèle sans chichis, banal, trivial, et pourtant produit d’une longue évolution industrielle, culturelle et sociale.

En deux coups de ciseaux

La saga commence par une découpe – un caleçon amputé de ses jambes, et par une matière, le coton, qui remplace la laine. Cette double révolution dans le sous-vêtement masculin s’est produite il y a à peine plus d’un siècle, en 1912, du côté de Troyes (F), dans l’usine de bonneterie de Pierre Valton. Le Petit Bateau – un modèle pour enfant – s’est jeté à l’eau.

Les Américains mettront vingt ans avant de populariser ce caleçon sans jambes. Une entreprise du Michigan crée ainsi le Jockey dans les années 1930, inspiré des maillots de bain alors en vogue sur la Côte d’Azur. L’innovation? Le «Y-Front», une poche renforcée en forme de Y renversé sur le devant du slip, et un peu plus tard une variante «kangourou» avec poche horizontale (ce nom, contrairement au modèle, passera à la postérité).

The Cellophane Wedding, premier défilé de sous-vêtements, par la marque américaine Jockey (1938).

Soutien sans contrainte

Le succès du «Y-Front» est immédiat, couronné par de nombreux prix et, en 1938, par un défilé de sous-vêtements Jockey, «Le mariage de cellophane», où des couples couverts de vêtements transparents laissent apparaître leurs dessous immaculés. Une sensation. C’est le début d’une domination mondiale sur la garde-robe masculine. Pour son mari et ses enfants, la ménagère achète des lots de slips à poche, si «confortables» et si «hygiéniques». La première prétention est indéniable: le slip soutient sans contraintes les parties intimes, grâce à la douceur du coton tricoté et de ses mailles côtelées. Le «Y-Front» est alors universellement blanc, couleur de pureté et de propreté. Dans la société d’après-guerre, obsédée par la chasse aux microbes, les fabricants soulignent qu’il peut être mis à bouillir.

Gros Dégueulasse, de Reiser. Le mâle en prend un coup

Et le slip devint slibard

«Hygiénique», vraiment? Dans les années 1970, alors que l’homme prend timidement conscience de son potentiel érotique, le slip à poche devient, au contraire, le symbole de la craditude, des traces suspectes et de la couille qui dépasse, immortalisés alors par Gros Dégueulasse, personnage créé par le bédéiste Reiser. Le slip est devenu soudain le slibard. Notez, il garde ses fans: célibataires geeks enivrés par l’odeur de leur propre nonchalance. Un poète amateur texan illustre cet art de vivre:

«Ô sous-vêtement / Esprit de la nature / D’abord je te porte correctement / Ainsi s’écoule le jour / J’avance dans le lendemain / Et le monde tourne à l’envers / Comme l’étiquette, devant derrière / Wedgie à part, on se sent bien / A vivre dans l’instantanéité / Quittant toute normalité / L’esprit perdu dans le lointain / Le troisième jour arrive enfin / Sens dessus dessous…»
«Ode to the Three-Day Underwear» posté sur Hello Poetry.

Catalogue des années 1970. Le slip à papa se métamorphose et lorgne du côté du maillot de bain

Il est temps que le slip fasse oublier ses taches et ses béances, tandis que les hommes se retournent vers le caleçon et le short, ou (pour les audacieux) vers des modèles échancrés inspirés du bikini disco en fibres synthétiques.

La maison Calvin Klein met tout le monde d’accord, dès le milieu des années 1980, avec des slips taille basse qui reproduisent le dessin en «Y». Ses différentes versions s’affichent sur des publicités géantes, homoérotiques et un brin macho (dont celle de 1992 avec Mark Wahlberg). Le Calvin s’arrache, et fait même une apparition dans «Retour vers le futur», en 1985. La scène cocasse relève d’ailleurs le génie de la ligne: une large bande élastique où s’affiche le nom de la marque new-yorkaise.

L’élastique n’a pas cessé de s’élargir depuis les années 2000, avec des imprimés de plus en plus sophistiqués et colorés, comme le slip lui-même. «Des mesures plus larges dans l’élastique en appellent à l’homme conscient de la marque et désireux de représenter son sens de la mode», estime Michael Kleinman, expert et entrepreneur du slip au site «Details».

Gangsta-rappeurs fauchés

De fait, après le fameux «cK» du label américain ostensiblement adopté par des stars du hip-hop, on y voit apparaître d’autres marques, certaines prestigieuses (Versace, Armani), d’autres moins connues, qui lorgnent le juteux marché du slip (AussieBum, Diesel, 2xist). Sur les marchés de campagne, on voit les élastiques version équipe nationale de foot, signes du zodiaque, ou des contrefaçons improbables (Gucci, Rolex, Ferrari, Nivea) pour gangsta-rappeurs fauchés. Certains osent des raisons sociales plus explicites, comme Cocksox («chaussette à bite») ou Comfyballs («boules à l’aise»). Récemment, une marque britannique a même imaginé pour les gays une bande élastique où s’affiche la position sexuelle préférée, «top» ou «bottom», de celui qui la porte.

Jubilatoires

Vendu à la pub, converti aux microfibres chatoyantes, le slip à papa est-il mort? En tout cas pas dans la culture populaire. Il n’y a qu’à voir les récentes scènes jubilatoires de «Birdman» (Michael Keaton, 2014), le pilote de la série «Breaking Bad» (Bryan Cranston, 2008), «Old School» (Will Ferrel, 2003) où le «whitie» joue un rôle prépondérant. A chaque fois, la séquence figure met en scène un homme d’âge mûr qui pète les plombs ou qui cède à quelque démon intérieur.

Le whitie était incontournable sur les plateaux du X gay jusque dans les années 1990. Photo: Jetsetmen

Ce motif se retrouve aussi dans le porno gay. Un peu passé de mode depuis les années 1990, le slip à poche resurgit aujourd’hui dans des production qui fleurent bon le daddy en perdition. Chez le maître Joe Gage, le slip blanc glisse le long des cuisses poilues de flics, de cols blancs, de représentants de commerce ou de gardes forestiers du fin fond du Midwest. Rien de tel pour caractériser l’hétéro qui s’abandonne à des fantasmes dégoulinant de testostérone…

Insoupçonnable

Vendu en pack de 10 dans les hypermarchés, oublié dans les tambours des laveries automatique, jeté sur le sol des fitness ou dans les poubelles des piscines, le slip à poche est érotique parce que insoupçonnable, comme l’ont longtemps été les lieux de drague gay – tasses, plages, terrains vagues et autres lieux de sexe invisibles du commun des mortels. Le «kangourou» n’a jamais vraiment fait son coming-out, et c’est tant mieux. Il reste ainsi la promesse d’une libido qui déchire, comme le coton dont il est fait.