L’art d’être banal sans être plouc
Cousin proche du hipster, le normcore glorifie le «no style». Et il pourrait bien devenir le nouveau Dieu du temple de la branchitude. Amen.
«Less is more». Dans la mode, le concept va et vient au gré des saisons. Et avec le phénomène «normcore» qui débarque, il semblerait bien que nous entrions dans une nouvelle phase du minimalisme. Mais en 2014, il ne s’agit pas d’un minimalisme subtil, tel que les créateurs japonais l’ont insufflé dans les années 90. Le normcore vient des Etats-Unis et il glorifie le «no style».
Tout simplement. Il est le cousin premier degré d’une autre tribu dont la moitié de la planète souhaite voir le déclin… Avouez, si pas vous personnellement, vous avez certainement des amis qui hurlent à la supercherie dès qu’ils croisent un barbu voûté sur son vélo dans la rue, tatoué là où il faut, lunettes de vue (sans correction) et bonnet rouge en bonus, non? Si oui, vos amis souffrent d’une allergie aiguë aux hipsters. Hé oui, le fléau de leurs détracteurs est autant répandu que les hipsters eux-mêmes. Va savoir pourquoi, des réseaux sociaux à la rue, ils sont des milliers à se demander quand ce temple de la branchitude faussement débraillée va enfin s’effondrer. Vos amis sensibles au sujet peuvent désormais se rassurer: une nouvelle tribu saura les réconcilier avec la mode, apprenait-on dans les colonnes du New York Magazine le 26 février dernier. Avec l’inévitable buzz qui s’en est suivi sur les réseaux sociaux, il est probable que l’appellation normcore semble déjà has-been aux initiés.
Que reste-il?
Eclairons les autres: normcore est la contraction en anglais des termes «normal» et «hardcore». Soit, il s’agit des pointus de la banalité. Karma caméléon, le normcore se fond dans l’environnement dans lequel il se trouve. Il n’oublie jamais son manifesto: «surtout ne pas se faire remarquer par son look». C’est en se baladant dans Soho que la journaliste Fiona Duncan aurait noté qu’il est désormais pratiquement impossible de dissocier les branchés des touristes fagotés comme des as de pique. «Ouf, les hipsters vont pouvoir se reposer!», seront tentés de penser vos amis douillets. Sauf que contrairement aux apparences, être normcore n’est pas si simple que ça.
Être banal d’accord, mais pas plouc pour autant. C’est dans cette subtile nuance que tout se joue. En gros, un normcore qui se respecte est un hipster qui a rasé sa moustache, demandé à son coiffeur de ne plus lui faire la même coupe que Hitler et qui porte son jean délavé sans le retrousser à mi-mollet. Il peut donc conserver ses bonnes adresses pour le shopping, Uniqlo demeure une enseigne sûre, mais son approche est diamétralement opposée: faisant fi du côté trash d’American Apparel, il pille dans les basics de le la marque si chère aux hipsters.
Même pas les Birkenstock
Et c’est là que vos amis devraient sérieusement commencer à l’inquiéter. Car si même le fait d’être banal devient une étiquette et un style mainstream aujourd’hui, que reste-t-il pour les vrais adeptes du no-style, même pas les Birkenstock? Et si même les ploucs sont érigés en trendsetteurs, que reste-t-il aux designers pour pimenter la vie de celles et ceux qui décident d’être des créatures fabuleuses?