Pour que résiste l’activisme queer en ligne

Cette semaine s’ouvre la campagne contre l’homophobie, la biphobie et la transphobie 2025 de la Ville de Genève sous le mot d’ordre «Ensemble contre les cyberviolences envers les personnes LGBTIQ+! ».
Dans un contexte d’extrême-droitisation des réseaux sociaux, de recul des droits LGBTIQ+ et d’offensive transphobe, la réflexion sur la résistance des voix queers face aux campagnes de haine et de désinformation se fait d’autant plus urgente. C’est ainsi le sujet choisi pour la table ronde de la soirée de clôture de la campagne, organisée lors de la très symbolique date du 17 mai: «Activisme queer en ligne: s’invisibiliser pour se protéger ou rester visibles et résister – et à quel prix?».
Intervenant·e·x·s et parcours
Pour échanger sur les enjeux et les possibles stratégies à adopter, le Service Agenda 21 – Ville Durable de la Ville de Genève invite deux militant·e·x·s particulièrement touché·e·x·s par la cyberviolence sur leurs plateformes respectives et dans leurs collaborations communes: Morgan Lucas et Lexie Agresti. Si ces noms vous semblent familiers, peut-être que leurs pseudos vous feront plus directement écho: @morgan.noam & @Aggressively_trans. Toux deux sont auteur·ice·x·s, formateur·ice·x·s en genre, inclusivité et droits LGBTIQ+ et fournissent un énorme travail de médiatisation, d’accessibilité et de décryptage de l’actualité politique et culturelle liée aux thématiques LGBTIQ+ sur leurs réseaux sociaux depuis de nombreuses années.
Collaborations et supports pédagogiques
Issu·e·x·s de parcours très différents (l’un est psychothérapeuthe, l’autre historienne de l’art) enrichissant leurs approches personnelles, Morgan Lucas et Lexie Agresti ont déjà collaboré de nombreuses fois, comme pour réaliser des vidéos humoristiques à visée de sensibilisation. Leurs courtes vidéos, leurs publications explicatives et leurs ouvrages respectifs récemment publiés (Ceci n’est pas un livre sur le genre et Une histoire de genres, guide pour comprendre et défendre les transidentités) sont autant de pierres permettant la construction de soi et de remparts face à la désinformation.
Visibilité et vulnérabilité
Mais cette visibilité bénéfique à la diffusion des savoirs et à la constitution de représentations les fait se retrouver dans une position d’extrême vulnérabilité, en première ligne face aux offensives queerphobes. Pour cette table ronde, c’est tant sur ces opportunités que sur cette violence à laquelle iels sont exposé·e·x·s qu’iels reviendront, violence subie à répétition depuis le début de leur travail non rémunéré d’éducation et de vulgarisation sur les sujets trans et queers.
Cyberharcèlement ciblé et impact psychologique
Pour Lexie Agresti notamment, les “raids” (vagues de cyberharcèlement organisées) sont extrêmement fréquents depuis qu’elle a lancé son compte en décembre 2018, mêlant menaces de meurtre et de VSS, cyberharcèlement de son entourage et campagne de pression sur les organisateur·ice·x·s d’évènements pour lesquels elle a été invitée. Cette violence, elle est régulièrement obligée de la présenter en story à la une sur Instagram, à la fois pour montrer l’ampleur des campagnes de cyberharcèlement toujours minimisées ou difficilement appréhendées et ce même par les allié·e·x·s, ainsi que pour analyser ses mécanismes, ses déclencheurs et les idéologies qui la pénètrent. Mais la distance que permet la posture d’analyse ne suffit pas, et Lexie Agresti est régulièrement obligée de faire des pauses pour prendre soin de sa santé mentale.
Conséquences économiques et matérielles
Le coût psychologique du cyberharcèlement est l’aspect ressortant le plus régulièrement lorsque le sujet est abordé, et il est en effet particulièrement important, spécifiquement chez les personnes queers et notamment trans, d’autant plus vulnérables. Cependant, il est loin d’être l’unique conséquence de la violence en ligne: toujours pour Lexie Agresti, l’annulation d’événements suite à des campagnes de pression représentent un coût important, pour un travail déjà peu ou non rémunéré. L’aspect économique joue également beaucoup quand il s’agit d’avoir le suivi psychologique adéquat pour faire face au cyberharcèlement : pouvoir se payer des consultations fréquentes demande une situation financière stable, chose rare pour les activistes en ligne dont les sources de revenus sont généralement fluctuantes.
Matérialité de la résistance
Ainsi, résister en tant qu’activiste queer en ligne, au-delà de la résilience, demande des conditions matérielles d’existence favorables et solides pour ne pas chavirer, ce qui vient directement rentrer en friction avec les oppressions systémiques subies du fait de notre queerité. Cela s’étend même au-delà du statut d’activiste en tant que tel, aussi flous soient ses contours, le simple fait d’exister en tant que personne queer sur les réseaux sociaux exposant à de la cyberviolence.
Stratégies de solidarité et de protection collective
Face à cela et davantage encore pour nos adelphes trans, d’autant plus exposé·e·x·s à la violence hors et en ligne dans un contexte de paniques morales répétées et sur-médiatisées et d’offensives transphobes dans l’espace public et les institutions politiques, demeure la question de ce qui peut être collectivement mis en place pour se protéger les un·e·x·s les autres. « Contre-raids » bienveillants pour apporter son soutien aux activistes visé·e·x·s, mise en place de cagnottes, poursuites judiciaires des personnes participant au cyberharcèlement, plein d’outils de réponse sont à analyser et inventer pour faire front ensemble.
Rôle de la justice et des plateformes
Dans cette continuité se dessine également des réflexions à mener sur ce qu’on doit attendre ou non de la justice, des institutions et des plateformes en ligne quant aux cyberharceleur·euse·x·s: fermeture de comptes, amendes voir peines d’emprisonnement, ou placer le curseur entre impunité et repressivité? Autant d’axes qui pourront être évoqués et approfondis à l’occasion de la table ronde ce 17 mai.