Culture

Dragâteloises, The Nerd Edition

Neuchâtel, sam 6 avril, 18:30
Culture
#Musique

Rodrigo Cuevas

Cully, sam 6 avril, 19:30
Agenda
#Danse

Le cerveau mou de l’existence

Lausanne, mar 16 avril - dim 21 avril

Bertrand Charles Sonnay: «Il faut toujours défendre plus petit·e que soi»

Bertrand Charles Sonnay: «Il faut toujours défendre plus petit·e que soi»
@Karla Hiraldo Voleau

Bertrand Charles Sonnay est un enfant du lac. Né à Villeneuve en 1956, d’un père employé à la CGN, le trésorier senior de Vogay gère depuis plus de 20 ans la Société Nautique d’Ouchy. Connu pour son franc-parler, l’homme profite de ses multiples engagements associatifs pour insérer les laissé·e·x·s pour-compte dans les sociétés locales.

Lorsqu’il quitte l’école à 15 ans, Bertrand fait un apprentissage de quincailler, «un milieu un peu particulier, où rien n’était sous plastique comme aujourd’hui». L’adolescent ne cache pas sa préférence pour les hommes, mais n’en fait pas étalage non plus. À 18 ans, le jeune homme arrive à Lausanne pour travailler dans le commerce de détail et devient rapidement caissier des Commerçants à la rue de l’Ale. Il commence alors à faire ce qu’il fera toute sa vie: tenter de faire évoluer les mentalités de manière subtile. «Me retrouver parmi ces gens, faire mon travail, en disant que je vivais avec un copain, sans pour autant brandir le drapeau, mais en racontant mes vacances, c’était déjà quelque chose.»

Quelques années plus tard, il entre aux grands magasins l’Innovation, où il restera seize ans. «Là aussi, la première étiquette n’est pas celle qu’on aime les garçons, qu’on est homosexuel‧ La première étiquette, c’est le job que tu fais». Le commerçant hors-pair, monte rapidement en grade et finit par être responsable de l’image des huit succursales romandes. Fréquenter des gens «d’un certain niveau» lui permet de se montrer tel qu’il est. Ne pas choquer, mais tout de même bousculer les mentalités. «Je n’ai jamais dit mon mari ou mon amoureux, je parlais de mon copain qui était un terme plus acceptable.»

Celui qui jouera les trublions dans la vie politique lausannoise préside déjà plusieurs associations lorsqu’il entre au parti Libéral. Dans ce milieu «très éloigné des questions liées aux droits des personnes homosexuelles», il tente également de faire bouger les choses. Il est amené à s’occuper des questions d’avortement, et combat l’initiative «jeunesse sans drogue» soutenue par son parti, qui prône la répression. Il finit par quitter le parti Libéral et se présente trois fois à la Municipalité, hors parti.

«De petites graines que l’on sème»

En 2001, Bertrand Sonnay devient président et secrétaire général de l’Union des Sociétés Lausannoises (USL), la faîtière des associations locales, fondée en 1897. Ce rôle lui permet d’être invité dans toutes sortes d’associations où personne ne s’occupe de son orientation sexuelle et d’y faire des discours. «À table, les gens me disaient que j’aurais dû venir avec ma femme, à quoi je répondais calmement que je n’étais pas marié, mais vivais avec mon copain depuis plus de 10 ans. La durée ajoute une certaine respectabilité! Ce sont de petites graines que l’on sème».

A la fin des années 90, le mal-aimé en politique fait de la réinsertion des laissé·e·x·s-pour-compte son cheval de bataille. «Il faut toujours défendre plus petit·e·x que soi» insiste-t-il. A cette époque, il devient gérant de la station-service Agip de la Riponne et de son échoppe, la seule à Lausanne ouverte toute la nuit. Dans le shop qui propose une multitude de marchandises en tous genres, il engage des chômeur·euse·x·s en fin de droit, des insomniaques, des personnes de tous âges. Ce repère de noctambules, considéré comme une épicerie par l’inspectorat du travail, est contraint de fermer en janvier 2000, au grand dam de son gérant, soutenu par les libéraux.

Durant la même période, Bertrand préside l’association Homosexualité et Société (H&S). C’est le début des lignes d’écoute, et l’une d’elles tourne sur une base hebdomadaire, entre différentes associations. Lorsque cette ligne est finalement coupée, c’est son numéro personnel qui la remplace. Ce dévouement, le fils d’une famille ouvrière affirme le tenir surtout de l’éducation qu’il a reçue: «lorsque tu as payé tes impôts, tu n’as pas fini d’être redevable à la société, surtout un gars comme toi qui n’aura pas d’enfant!, me disait mon père. Une certaine logique, en somme, encore valable aujourd’hui. Mais quand tu as une famille, tu t’occupes d’abord de celle-ci, on s’entend bien!».

Presque vingt ans plus tard, après la crise migratoire, le numéro de téléphone de Vogay, dont il est le trésorier, est encore dévié sur le sien, la plupart du temps. C’est le cas en cet après-midi de juillet 2017, lorsqu’il reçoit l’appel d’une employée de l’EPER, cherchant une issue pour un jeune requérant d’asile gai et schizophrène. L’appel est aussi providentiel que la rencontre qui en découle. Maher, jeune Palestinien au passé traumatique, qui enchaîne les tentatives de suicide dans le foyer de l’EVAM où il loge, ne parle encore que l’arabe. Entre le pirate d’Ouchy et le jeune homme, le courant passe malgré tout. Au club nautique, Bertrand lui confie de petits travaux, il repeint une table, cuisine, apprend à ramer avec l’équipe du sauvetage.

Cinq ans plus tard, Maher a 29 ans, parle couramment français, et gère seul le stock de boissons du club nautique. «Il est en forme dans l’après-midi, mais doit prendre un traitement très lourd», explique Bertrand. La nuit, ses démons le rattrapent et il peut difficilement rester seul. C’est donc dans un village du Lavaux qu’il passe ses nuits, où la présence du compagnon de Bertrand le rassure. Lui ayant cédé sa chambre, Bertrand dort dans le studio «bruyant et mal isolé» que son protégé a obtenu de l’EVAM.

@Karla Hiraldo Voleau

«C’est avant tout l’ignorance et l’ennui qui font dire aux gens des bêtises»

Venir en aide aux personnes restées sur le carreau, l’homme du lac le faisait déjà à sa manière dans les grands magasins, où il excellait dans la prise en charge des rayons sous-développés: «C’est beaucoup plus facile de prendre quelque chose qui ne fonctionne pas, puis de le faire évoluer, que de passer toute l’année à tenter d’améliorer de 1% une activité qui marche bien. Je ne suis pas un promoteur des ventes, mais quelqu’un qui s’exprime!».

Il juge par ailleurs que les sociétés locales à but non lucratif ont un rôle à jouer dans l’intégration des réfugié·e·x·s et des personnes en difficulté. Des associations pas toujours très ouvertes, dont les membres sont souvent peu avenant·e·x·s et bourré·e·x·s de préjugés. «Sont-ils pour autant racistes? Je ne le crois pas. C’est avant tout l’ignorance et l’ennui qui font dire aux gens des bêtises», regrette Bertrand.

Lorsqu’il s’agit d’aider, malgré ses multiples engagements, le franc-tireur trouve du temps et des solutions. Il parvient ainsi à introduire un jeune réfugié s’étant découvert une passion pour la photo, au Photoclub de Lausanne. «En moins d’une année, il avait les clés de l’association. Ces gens n’avaient pas eu beaucoup d’occasions de fréquenter des personnes réfugiées, mais ils ont vite remarqué son talent. Aujourd’hui, il étudie la photographie à l’école supérieure d’arts appliqués de Vevey!», s’enthousiasme Bertrand.

Pour Maher, c’est une autre histoire. Il a un besoin accru de stabilité du fait de ses problèmes psychiques. «On s’est attachés, il fait partie de la famille maintenant, mais que lui arrivera-t-il quand nous ne serons plus là?». D’un commun accord, le couple se décide à lancer une procédure d’adoption. «Je n’avais pas vocation à adopter, mais finalement, c’est aussi une chance pour nous. Mon copain qui va sur ses 82 ans a toujours souhaité devenir père!»

L’heure est donc à la planification du mariage, étape nécessaire à l’adoption. «Hier Maher m’a présenté son copain, après m’avoir montré une photo. «Je te présente mon papa», lui a-t-il dit. Ça m’a fait plaisir, il était heureux». Bertrand sourit. Il se rappelle du jour où ses parents, quelques mois après l’avoir mis à la porte, lui ont proposé d’inviter son copain pour Noël. Avant cette première rencontre il l’avait mis en garde: «Quand mon père te demandera ce que tu bois, demande un verre de blanc, pas du whisky!». Après un accueil glacial, le capitaine à la CGN sympathise avec le compagnon de son fils avant même de passer à table. Quarante-huit ans plus tard, les deux marins d’eau douce gardent toujours le cap…