Collège Voltaire: Chronique d’un «péril gay»
Des élèves qu’on aurait laissé s’exhiber nus, des profs et des parents d’élèves qui pousseraient au «prosélytisme gay», une direction qui couvrirait ces agissements… Diable! Avec l’affaire dite du Collège Voltaire, à Genève, la théorie du «complot homosexuel» revient au galop. Comment a-t-on pu en arriver là?
Imaginons qu’à l’avenir, dans un cycle d’orientation ou un collège de Genève, un prof veuille sensibiliser ses élèves au thème de l’intolérance et l’illustrer par différents cas de figure, y compris des cas d’homophobie. Osera-t-il encore le faire sans risquer d’être accusé d’emblée de faire de la «propagande homosexuelle»?
Rien n’est moins sûr. Alimentées par toutes sortes de fantasmes, les salves d’accusations qui se sont abattues ces dernières semaines sur le collège Voltaire pourraient bien laisser durablement des traces dans les milieux pédagogiques genevois. Un signe? Alors que la direction du collège Voltaire a été disculpée, que des plaintes pour harcèlement psychologique ont été classées par le Département de l’Instruction Publique, il y a quelques jours, le syndicat des enseignants du secondaire, l’UCESG, en remettait une couche, laissant entendre qu’il fallait lutter contre le risque de «prosélytisme homosexuel» dans les écoles. Diable, le péril gay rôde dans les préaux, et cela s’attrape plus vite que la scarlatine!
Comment une simple blague d’étudiants a-t-elle pu dégénérer en une affaire d’Etat? Rappel des faits. Tout a commencé par la révélation dans le Matin Dimanche d’une affaire de photos d’étudiants datant de 2002, reprises pour illustrer un almanach de collège. Des photos relevant de la blague de potaches, qui n’avaient fait nul scandale au moment où elles avaient été prises. Photos où l’on voyait des étudiants s’amuser, dénudés, lors d’une soirée dont ils avaient choisi le thème (les travestis) au cours d’un voyage d’étude. Pas très fin sans doute, mais rien de bien pervers. L’affaire est utilisée par des professeurs qui ne s’apprécient pas afin de régler leurs comptes, et elle mousse une première fois dans la presse.
Fabrication d’un amalgame
Rebelote lorsque le même journal donne une suite à cette «croustillante» histoire: il prétend qu’en 2002 le Collège Voltaire avait fait «passer un test à ses élèves sur leur identité sexuelle», en leur faisant répondre à une questionnaire, comme si l’on avait cherché à fouiller dans leur vie intime, mieux encore, à «pousser les élèves à faire leur coming out». En filigrane, le ton est donné, l’amalgame entre les deux affaires est lâché: la direction du collège laisse faire, pire, encourage même des «comportements sexuels déviants».
On nage en plein délire. De fait, le soi-disant «test» en question s’inscrivait dans une semaine consacrée aux «identités affectives et sexuelles», décidée d’entente avec la direction du collège et animée par des intervenants extérieurs, comme le collège en organise sur toutes sortes de thèmes, tel le racisme. Le «fameux» questionnaire repêché par Le Matin Dimanche n’était qu’un des documents distribués durant cette semaine, il était anonyme, il avait été montré aux parents et approuvé, et si l’une des 20 questions portait certes sur l’identité sexuelle des répondants, sa raison d’être n’était que très secondaire à la thématique traitée. «L’idée était d’aborder la question des stéréotypes, de sensibiliser les collégiens aux représentations sociales que l’on a de la différence sexuelle. Plusieurs personnes étaient venues témoigner durant cette semaine, une personne transexuelle, une lesbienne, un gay», se souvient Stéphane With, psychologue qui avait coorganisé cette opération d’information.
Le scoop du siècle
Ces explications, avancées également à un journaliste du Matin Dimanche, ne suffisent pas à désamorcer les fantasmes sur «ce qui se trame dans les murs du collège Voltaire». Bien au contraire. Le journal vitaminé revient en troisième semaine en enquêtant sur Stéphane With et croit tenir le scoop du siècle: il laisse entende que ce psychologue s’active à des projets liés aux «milieux de la prostitution masculine», qu’ il était «responsable du groupe ‘jeunes gays’ chez Dialogai au moment du questionnaire», et le journal de s’interroger, au vu de ces faits, s’il était ‘bien raisonnable de la part de la direction de lui confier le mandat du collège». L’idée qu’un «prosélytisme gay et malsain» se pratique à l’école et qu’il est encouragé par la direction du collège Voltaire est définitivement scellée.
La presse du dimanche n’est bien sûr pas seule responsable de cette escalade. Le conflit ouvert entre professeurs au Collège Voltaire, qui se sont servis de ce contexte pour s’accuser mutuellement de harcèlement psychologique, tout comme le climat pourri qui règne dans l’enseignement à Genève, ont sans aucun doute servi de pompe d’alimentation aux rumeurs les plus folles. La dernière (?) salve émane du syndicat des enseignants, qui accuse cette fois des parents d’élèves gays de «propagande homosexuelle» pour avoir voulu distribuer des flyers d’information dans l’enceinte des collèges genevois. Et de souligner, réglant encore des comptes, que «seul le collège Voltaire a laissé faire».
Parler sereinement d’homosexualité à l’école? On croyait que les choses avançaient, il semble bien que tout soit à reconstruire.