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Lou Engle et les petits soldats de Dieu

Sous couvert de prières militantes, le prédicateur anti-gay américain Lou Engle défend une vision du monde théocratique avec des accents belliqueux. Pas de quoi troubler les évangéliques suisses, qui défendent sa venue à Genève, le 31 mai.

«Lou Engle n’a jamais appelé à la haine ou la violence contre les personnes homosexuelles et a au contraire clairement condamné de telles actions.» Le Réseau évangélique suisse (RES) vole au secours de Lou Engle. Dans un «appel à l’apaisement», cette fédération de 590 paroisses accuse les organisations LGBT locales de mener une campagne «calomnieuse» contre le prédicateur américain attendu le 31 mai dans la cité de Calvin pour «The Call»/«L’Appel», une journée de prière prévue à l’UpTown, l’ex-cinéma des Grottes.

Le texte du RES assure que Lou Engle n’est pas si méchant. C’est juste que selon lui, «le mariage hétérosexuel est le meilleur modèle pour la société». D’ailleurs son «intention n’a jamais été de promouvoir des châtiments sévères pour les personnes concernées». Ah, l’art de l’euphémisme.

L’Ouganda, un malentendu?
Rappelons que le nom de Lou Engle a fait surface en Europe grâce aux travaux effectués sur le lien entre les missionnaires évangéliques américains et le durcissement des lois anti-gay en Afrique. «God Loves Uganda», un documentaire récent a mis en évidence que la famille spirituelle de Lou Engle faisait partie des soutiens à «Kill the gays», la proposition de loi qui préconisait la peine de mort pour «homosexualité aggravée» (relations avec un mineur, transmission du VIH). Le pasteur vedette du Kansas s’y est lui-même rendu au printemps 2010 pour une édition de son meeting «The Call».

Justement, dans la revue évangélique suisse «Christianisme aujourd’hui», Lou Engle revient sur ce voyage controversé. Il affirme avoir répondu à une invitation et avoir tout fait sur place pour se dissocier de «Kill the gays». «J’ai prié les organisateurs de ne pas en faire une plateforme pour promouvoir le projet de loi. Ils ne m’ont pas écouté […] j’assume la responsabilité de ce qui s’est fait, je ne peux pas faire autrement.» A l’en croire, tout le raffut médiatique sur sa présence en Ouganda n’est basé que sur un malentendu «qui lui colle toujours».

Entre la corruption et la sorcellerie
On s’en doute, il n’aurait pas été très malin pour le leader de «The Call» d’appeler à l’exécution des homosexuels devant un stade comble. Son prêche n’en était pas moins un appel à combattre l’homosexualité sous toutes ses formes, comme l’avait constaté un reporter du «New York Times» sur place. «La question LGBT avait été glissée entre la condamnation de la corruption et celle de la sorcellerie: des maux que les Ougandais ont été encouragés à exorciser». Engle avait aussi salué le courage et la droiture des promoteurs de «Kill the gays». L’un d’eux l’avait rejoint sur l’estrade.

Prompt à se dédouaner des appels à la violence directe, Engle n’en est pas moins un partisan de la pénalisation de l’homosexualité. «Il devrait y avoir une sorte de limitation, des limitations légales et des punitions», a-t-il concédé au reporter du «Times», ajoutant que les parlementaires ougandais avaient raison «de protéger leur société». Ce type de discours, Engle l’a tenu aussi aux Etats-Unis. En 2008, lors de la campagne pour la Proposition 8, qui voulait interdire les mariages aux couples de même sexe, il avait dénoncé l’«esprit hors-la-loi» des homosexuels. Un leitmotiv.

«Pas de place pour la démocratie et le pluralisme»
Le Southern Poverty Law Center (SPLC), une ONG qui observe les mouvements antiminorités aux Etats-Unis, note qu’Engle a créé «The Call» dans le giron de Joel’s Army, un mouvement aux tonalités martiales qui «croit que l’Amérique, et le reste du monde avec elle, devrait être gouvernée selon une interprétation littérale de la loi biblique. Pas de place pour la démocratie et le pluralisme.» Engle œuvre également dans le cadre de l’International House of Prayer, un étonnant mouvement charismatique destiné aux jeunes des scènes metal, punk et gothiques, qu’il alimente en discours mystico-guerrier: «Le Royaume des cieux subit la violence et les violents le prennent par la force. Une telle force demande une réponse égale, et Jésus va livrer une guerre contre tout ce qui empêche l’Amour, et ses yeux cracheront le feu.» Lou Engle a aussi été filmé (dans le documentaire glaçant «Jesus Camp», en 2006) prêchant à «Kids on fire», un camp biblique du Dakota du Nord, où des gamins sont incités à se prendre pour la main armée du Christ.

Charmant et humble
Un coup d’œil sur YouTube suffit d’ailleurs pour se convaincre de la limite très fine entre prière militante et incitation à l’action violente, dans le discours de Lou Engle. Comme ces prêches fébriles où il invite des fidèles en transe à forcer les portes de la Cour suprême fédérale – en prière, bien sûr. «Engle est un homme charmant et humble, dont la personnalité est difficile à concilier avec sa croyance dans la levée d’une armée de jeunes guerriers chrétiens invincibles. Alors qu’il se garde bien de déployer la rhétorique de Joel’s Army lors d’événements publics comme «The Call», il est capable de tenir des discours sanguinaires dès qu’il se trouve dans les cercles de fidèles hypercharismatiques de Joel’s Army», conclut le SPLC.

Manifestement, la guérilla spirituelle de Lou Engle contre la société démocratique et ses institutions ne perturbe nullement les évangéliques suisses – sans parler de sa perception des homosexuels comme appartenant aux forces du mal. Au journaliste de «Christianisme Aujourd’hui» qui lui demande comment investir la prière pour s’opposer aux unions entre personnes de même sexe et à l’IVG, le pasteur du Kansas répond d’ailleurs à la première personne du pluriel: «Notre problème, confie-t-il, c’est que nous laissons la société nous dicter quelles sont les causes à défendre et non la Parole de Dieu. Les chrétiens sont les bienvenus pour s’opposer à l’esclavage sexuel, mais sur les questions de l’avortement et de l’homosexualité, nous plions face au politiquement correct.»

Finalement, plaide Engle dans la même interview, «je n’ai fait que montrer de la compassion pour ceux qui luttent avec une attirance pour une personne de même sexe.» Il y a deux ans, il avait montré une des formes que prend sa «compassion». Il avait enjoint ses jeunes guerriers de la prière à «arrêter la tornade homosexuelle avant qu’elle détruise l’Amérique» – c’était juste après une vague d’intempéries qui avaient fait 6 morts dans l’Oklahoma – et avait prophétisé que bientôt, 100’000 gays et lesbiennes guéris et convertis apporteraient «le Salut radical et la guérison du sida».