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Tribus naturistes: Du nouveau sous le soleil?

Le naturisme de papa, idéaliste mais un peu coincé, cède du terrain face à de nouvelles façons d’expérimenter et de vivre la nudité…

Bien que naturisme ait longtemps rimé avec hygiénisme et eugénisme (sous le régime nazi, qui s’en est servi pour exalter le corps aryen), il s’est recentré après guerre autour des notions de bien-être et de respect. «Respecter la nature, sa nature, mais aussi celle d’autrui», c’est ainsi que Xavier Gaillot, définit le mouvement, dont il est en France un observateur et un militant convaincu. En mélangeant handicapés et valides, riches et pauvres, jeunes et vieux, hommes et femmes, nus sous un même soleil, le naturisme se pose en véritable utopie sociale – un idéal, en tout cas, auquel se cramponnent les fédérations naturistes et les petits clubs.
Le mouvement naturiste classique, représenté par les petits centres et les associations locales, revendique volontiers une «éthique»: nudité en commun, sport, diététique… Ainsi les parures et modifications corporelles sont-elles généralement mal vues, sinon interdites par règlement, tout comme l’alcool et le tabac. Mais la condition suprême reste la mise à distance de la sexualité – afin, explique-t-on dans les clubs, de préserver une atmosphère «familiale» et «saine». «Ce sont des mots que l’on entend tout le temps», note Xavier Gaillot. «Surtout après l’affaire Dutroux, les clubs sont devenus plus pudibonds… Or, il ne faut pas désexualiser la relation humaine, toute relation est sexuée, que l’on soit nu ou habillé!»
Pourtant, la méfiance prévaut. Voyeurs, célibataires et échangistes sont perçus comme une menace contre «l’équilibre» des petits clubs. «On nous demande carrément si on pratique des “jeux d’adultes”», s’indigne un responsable du centre Les Hérissons, près de Genève. «Il y a des endroits connus pour ce genre de dérapage, mais en tout cas pas chez nous!»

Homos: un certain embarras
En ce qui concerne les homosexuels, les centres naturistes romands affirment les accueillir sans problème – même s’il s’agit d’un couple gay? «S’il y a des homosexuels masculins et qu’ils se manifestent sur le terrain, ça ne sera pas admis», répond-on aux «Hérissons», dont le responsable concède toutefois: «C’est un cas de figure un peu nouveau pour nous. On a eu un président qui était gay, mais il ne le manifestait pas du tout sur le terrain.»
Cet embarras, Xavier y a été confronté avec son ami dans de petits centres naturistes: «On se retrouvait face à des gens plus âgés, dans une ambiance un peu “club pique-nique” où tout le monde se connaît. On nous a fait souvent des réflexions du type “Vous savez ici, c’est très familial”. Toujours avec le sourire. On fait à peine attention. C’est ensuite que l’on se rend compte qu’il y a un message subliminal.»
Alternative au cadre vieillissant et contraignant des petits clubs, il existe des centres tels qu’Euronat ou le Cap d’Agde en France: de véritables villes de vacances, où échangistes et familles, homos et hétéros, se côtoient. Selon Xavier, ils passent finalement plus inaperçus que… les naturistes eux-mêmes: «Le soir quand on se balade à poil dans ces grands centres, on passe pour un martien!», déplore-t-il, en dénonçant au passage le «business» qui «sacrifie un peu facilement la règle de la nudité en commun en permanence afin d’attirer un maximum de visiteurs.»

Retour aux sources
Si le naturisme donne parfois l’impression d’un mouvement déclinant ou dénaturé, des initiatives signalent qu’un renouvellement est en train de se produire. Ainsi la randonnée naturiste, ou «randonue» apparaît-elle en plein essor. Basés sur le Net, des groupes informels organisent des activités aux quatre coins de la France. Une alternative militante, puisqu’il s’agit d’organiser des marches sur des sentiers publics, à la grande stupeur des promeneurs «textiles», des riverains ou de la police. Dans le même esprit, à Barcelone, un groupe local invite les touristes étrangers à visiter la cité catalane dans le plus simple appareil. Dans les deux cas, ces nouveaux naturistes tentent de sensibiliser le public et les autorités à un droit à la nudité d’autant plus naturel que dans presque toute l’Europe, celle-ci ne tombe pas sous le coup de la loi (pour la situation en Suisse, voir p. 20).
Des «naked bike rides», défilés cyclo-nudistes, ont sillonné les rues de Bruxelles, de Prague ou de Madrid en juin dernier. S’il s’agissait d’abord d’une protestation ludique contre le trafic automobile, pour beaucoup de naturistes qui se sont joints à cette action citoyenne, le défi consistait aussi à réinvestir l’espace public avec son corps: «Ce qui me tente, réagit Xavier, c’est le sentiment de la nudité en ville, mais aussi l’utilisation du corps dans un contexte politique.» Une idée qui ne va pourtant pas de soi dans le milieu naturiste: «Certains craignent qu’on les montre du doigt. Ils ne comprennent pas ce type de démarche qui va à l’encontre de l’adage “pour vivre heureux, vivons cachés”.»

Des conditions draconiennes

Pour accéder à un club naturiste, il faut être membre d’une fédération nationale ou internationale, une adhésion délivrée par les clubs eux-mêmes (voir guide p. 20-21) selon leur propre règlement. La plupart du temps, les aspirants sont invités à une «journée d’essai» au terme de laquelle leur candidature est examinée. Certains centres (le CGL de Genève, par ex.) exigent en outre un extrait de casier judiciaire ou un certificat de bonne vie et mœurs. Généralement, une personne mariée souhaitant séjourner seule doit également produire une autorisation signée par son conjoint-e. A.G.

Nu devant la loi

Rando, manif ou bronzette à poil: qu’est-ce qu’on risque? Exemples à Genève, Neuchâtel et Fribourg.

«Il n’y a pas de base légale pour interdire à quelqu’un de se promener nu», constate Frédéric Hainard, de la police neuchâteloise. Toutefois, aucune illusion à se faire: «C’est assuré: un nudiste dans un parc public se fait amener au poste! On se dirait simplement que c’est quelqu’un qui sort de l’asile!»
Toutefois, les dénonciations pour «scandale» ou pour exhibitionnisme ne seraient pas recevables – surtout s’il n’y a pas de connotation sexuelle. A la police fribourgeoise. Pierre-André Waeber modère toutefois, car la limite entre naturisme et exhibitionnisme peut être floue, surtout s’il y a plainte: «Chaque cas est unique. Si une personne est identifiée, il est possible de la présenter devant un médecin-psychiatre pour cerner ses intentions.» Pas de quartier, en revanche à la police genevoise: «Le naturisme est interdit sur la voie publique. Les gendarmes déclarent les personnes en contravention d’après des articles de Règlement ou de la Loi pénale genevoise», en précisant que des poursuites pour exhibitionnisme (Art. 194 du Code pénal, jusqu’à six mois de prison) peuvent être engagées. Par ailleurs, certaines communes ont édicté des arrêtés interdisant le nudisme, avec à la clé une dénonciation au procureur et des amendes salées.
Quant à des manifestations «politico-nudistes», elles ne sont pas proscrites – à condition d’être dûment annoncées. A Genève, la police indique qu’une autorisation restreinte à certaines heures ou certains lieux (éventuellement avec bouclage!) serait délivrée, tandis qu’à Neuchâtel, on confirme que des cyclistes nus, par exemple, pourraient défiler: «Une telle demande aurait toutes les chances d’aboutir, estime Frédéric Hainard. Il serait bien sûr possible que l’autorité communale dise non, mais l’autorité de recours dirait que l’intérêt public, c’est de garantir la liberté d’expression.»