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Observateurs observés

L’association Dialogai envisage de créer un Observatoire de l’homophobie, comme il en existe déjà en France. Le genre de démarche que dénonce à l’inverse l’Observatoire du communautarisme… Point commun entre tous ces observateurs s’observant parmi? Le fort sentiment qui les anime d’avoir pour mission le devoir de «surveillance sociale». Observons donc de plus près ce que révèle le phénomène.

Dialogai l’a annoncé solennellement dans un document préparatoire : il est temps de créer à Genève un Observatoire de l’homophobie, un ODH de son petit nom, dont la mission sera «de dresser chaque année un état des lieux de l’homophobie et de fournir un soutien et une assistance aux personnes victimes d’actes homophobes». Pour étayer son constat, l’association genevoise se base notamment sur des statistiques de son cru qui démontreraient selon elle que «l’homophobie peut être source de troubles physiques et psycho-somatiques».. Saviez-vous par exemple que 61% des hommes gays souffrent de douleurs dorsales contre 41% des hommes hétérosexuels ? Et que 49% des hommes gays éprouvent des maux de tête contre seulement 33% d’homologues hétéros ? Toujours selon l’enquête de santé de Dialogai, 68% des homos de sexe masculin souffrent de fatigue contre 40% chez les mâles hétéro, révélation dont on ne sait trop si elle casse le cliché du gay inlassablement fêtard ou au contraire confirme de manière parfaitement tautologique la conséquence de ses nuits sans sommeil…
Bien loin de nous l’idée de nier qu’il se pratique encore en Suisse des actes discriminatoires en lien avec l’orientation sexuelle, que ces actes peuvent avoir des conséquences graves pour les individus qui en sont victimes, et qu’il faut les dénoncer avec force. Mais le message effrayant d’une homophobie supposée en effervescence et surtout son institutionnalisation par la création d’organes spécialisés censés la combattre soulèvent quelques légitimes interrogations. De manière difficilement acceptable, cette approche sociologisante, étayée de statistiques, fige la population homosexuelle dans un statut victimaire ; elle la met en outre en opposition avec une société hétérosexuelle perçue comme intrinsèquement oppressante et discriminante.
Cette conception essentialiste éveille du même coup un inévitable soupçon : les instruments de surveillance que sont les observatoires de l’homophobie, qui ont déjà fleuri ici et là dans d’autres pays, ne sont-ils pas tentés de monter en épingle la confrontation entre gays-victimes et société-bourreau afin de légitimer, de manière consciente ou inconsciente, leur propre existence ? En France, l’association SOS Homophobie, dont on ne met pas en doute la volonté de défendre la bonne cause, n’échappe pas à ces mécanismes pervers d’autopromotion. Sur son site, l’association lance ce bien curieux appel à témoin : «Nous recherchons des témoignages précis afin d’identifier des auteurs (établissements, institutions, et auteurs précis : responsables d’établissements, vigiles…) de propos ou d’actes homophobes permettant d’identifier des cibles potentielles de testing. Ce témoignage pourra être diffusé, avec votre accord, dans le cadre d’une émission de télévision.» Explication du secrétaire de l’association: jusqu’ici, SOS Homophobie n’a pas pu monter des opérations de testing (qui consiste à prouver des cas de discrimination) car l’association n’a pas reçu de témoignages suffisamment précis pour dénoncer des cas concrets de discrimination.

Universalisme autoritaire
Auteur du livre au titre aussi exécrable que provocateur «Les Khmers roses», paru en novembre 2003, François Devoucoux du Buysson, de son côté, voue toute son énergie à dénoncer «les élites homosexuelles militantes» qui s’emploient, selon lui, «à renouveler constamment le discours victimaire à des fins de visibilité et à prendre ainsi en otage l’ensemble de la population homosexuelle». Leur tactique, à ses yeux, consiste à culpabiliser sciemment la société française et, en matière de revendications, à faire de la surenchère permanente. «Ce qui me frappe, nous explique-t-il, c’est que les politiques et les médias n’ont aucun esprit critique à l’égard des revendications communautaristes gays. Le consensus politique qui s’est formé autour de la nécessité de créer une Loi sur l’homophobie en France est particulièrement révélateur du phénomène ; personne ne s’est questionné sur les dangers de cette parcellisation de l’intolérance. Je défends une conception républicaine du droit où tous les actes d’intolérance, quels qu’ils soient, doivent être condamnés au nom du même précepte, celui de l’égalité des citoyens. »
François Devoucoux du Buysson est également le cofondateur de l’Observatoire du communautarisme, un organe actif sur Internet, lequel s’est aussi donné une mission de surveillance de la société. Cet observatoire-ci entend repérer et analyser de manière critique tout fait qui porte atteinte à ce que François Devoucoux du Buysson appelle «l’universalisme républicain». Se retrouvent ainsi dans le collimateur toutes les actions émanant d’individus amenés à se concevoir en vertu d’une «essence» particulière, qu’elle soit ethnique, religieuse ou sexuelle. Et cela quand bien même ces actions s’inscriraient-elles dans une démarche compensatoire d’inégalités ou d’injustices en n’empiétant nullement sur la liberté des autres citoyens.
L’Observatoire du communautarisme met en exergue d’intéressants débats, comme celui sur la laïcité ou sur la pratique des «positive actions», et il est sans conteste un excellent poil à gratter à parsemer auprès des militants les plus endurcis des causes minoritaires. Mais en présupposant la supériorité des valeurs républicaines sur d’autres visions – comme l’idée par exemple que la société est faite d’une somme d’altérités et de salutaires conflits –, ces observateurs ne pratiquent-ils pas à leur tour une forme d’ethnocentrisme ? Surtout, à l’arrivée, il est frappant de voir que cette apologie de la pensée républicaine consiste au bout du compte à faire l’apologie d’un modèle dominant, en l’occurrence blanc, chrétien, masculin et hétérosexuel.
En ce qui concerne les homosexuels, François Devoucoux du Buysson s’est à ce point spécialisé dans la traque de leurs «dérives» qu’on peut légitimement se demander si son combat est mené à la seule lumière de son refus de ghettoiser le droit. Dans son viseur, la chaîne de télévision Pink TV, coupable de discrimination pour avoir engagé des animateurs sur la base de leur orientation sexuelle, le festival parisien de film lesbien, Cineffable, coupable de réserver la manifestation aux femmes, et, plus globalement, toutes les manifestations folkloriques de visibilité homosexuelle comme les gay prides ou les gay games.

Mission commune
En apparence, tout semble opposer les tenants d’un observatoire de l’homophobie, soupçonnés de communautarisme, et les observateurs du communautarisme, soupçonnés d’homophobie. Et pourtant, on peut se demander si le soin porté à argumenter de la nécessité de leur mission (celle de surveiller les faux pas de leurs concitoyens) ne les unissent pas dans une vision idéologique commune, fondamentalement pessimiste des rapports sociaux, condition sine qua non pour justifier leur propre existence. Certain de déranger, l’Observatoire du communautarisme n’a d’ailleurs pas manqué de développer, lui aussi, son discours victimaire en annonçant à son public qu’il est «exposé aux rumeurs et aux procès d’intention».