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Se passer de Grindr? «Une chimère et peut-être même du gâchis»

Se passer de Grindr? «Une chimère et peut-être même du gâchis»
Thibault Lambert. Photo: Marie Rouge

Dans Ce que Grindr a fait de nous, un essai/récit intime et érudit, le journaliste Thibault Lambert explore l’application de rencontres gay la plus connue et invite à interroger nos désirs pour sortir de l’impasse. Entretien.

Thibault Lambert a 29 ans et c’est sur Grindr qu’il a rencontré la grande majorité de ses partenaires. Une décennie d’utilisation teintée d’amertume, qui l’a amené à se pencher sur cette application aussi incontournable que controversée. Il sort Ce que Grindr a fait de nous aux Éditions JC Lattès. Un ouvrage documenté et passionnant.

Qu’est qui t’a amené à écrire ce livre?

On parle beaucoup de Grindr, souvent de manière critique d’ailleurs. Mais il me semble que le sujet est vite évacué, ou qu’on le cantonne à des anecdotes. Mais, moi, Grindr, c’est toute ma sexualité! Alors, j’ai voulu explorer plus en profondeur cette application. Et, j’ai pris le parti de me positionner en tant que «bébé Grindr» qui est entré en sexualité par l’appli, qui fait partie de cette première génération qui n’a connu que ça et qui en est le fruit.

Quelle est selon toi la plus grande influence de Grindr sur la sexualité des hommes gay/bi/pan?

Je pense que Grindr amène à une uniformisation des rencontres. Le scénario du plan direct, de la rencontre rapide et dépersonnalisée y est ainsi hégémonique et quasiment incontournable. Il est difficile de négocier autre chose.

Tu dirais que c’est une version 2.0 du cruising?

Il est vrai que Grindr puise dans les pratiques anciennes du sexe entre hommes, conçue comme clandestine et anonyme. Et l’application emprunte des codes et des imaginaires liés au cruising et aux backrooms. Mais, dans le même temps, il y a des différences notables. Grindr est aussi un espace de rencontre déterritorialisé. On ne se rend pas dans un lieu pour faire des rencontres, ce sont les rencontres qui viennent à soi. En outre, sur les lieux de drague, on faisait par rapport à ce que l’on avait sur place, tandis que sur Grindr, on fait par rapport à ce que l’on cherche. D’ailleurs, l’anonymat n’est que relatif, puisque l’utilisateur remplit de très nombreux critères pour s’inscrire et ajoute souvent des photos. Enfin, il est toujours possible d’utiliser l’application pour autre chose qu’une rencontre sexuelle, alors que l’on ne va pas sur un lieu de cruising pour autre chose que du sexe.

Loin d’être un espace de rencontres safe, Grindr apparaît aussi comme un lieu d’importantes violences symboliques…

Oui, c’est espace où se reproduisent à la fois des rapports de classe, des rapports d’âge, des rapports de race… autant de rapports de pouvoir qui étaient déjà présents dans l’homosexualité masculine. Sauf que sur Grindr, il y a beaucoup d’explicitations verbales. L’incivilité est d’autant plus grande que l’on échange à travers un écran. Alors, la violence se reproduit avec une vraie force. Et, s’il y des utilisateurs qui sont davantage susceptibles de reproduire cette violence parce qu’ils possèdent les attributs les plus souvent recherchés, tous les utilisateurs finissent par adopter des comportements violents, de ghoster et de zapper.

Ces violences ne sont pas sans conséquences…

Oui, elles ont un gros impact sur l’estime de soi. Par exemple, j’ai développé des troubles du comportement alimentaire à force d’avoir l’impression d’être en bas de l’échelle de la désirabilité.

Faut-il tout jeter dans Grindr?

Non, car on peut accorder à Grindr d’être un moyen d’entrer en contact, de parler avec d’autres gays, de faire des rencontres – y compris amicales – notamment pour ceux qui vivent en ruralité. Je suis arrivé à Paris à l’âge de 17 ans, je pense que j’ai attendu l’âge de 20 ou 21 ans pour mettre les pieds dans un bar gay. Entre-temps, je faisais des rencontres via Grindr. L’application facilite et accélère la rencontre et permet parfois de commencer sa «carrière sexuelle» plus tôt.

Malgré les violences et les discriminations, il semble difficile de rompre totalement avec Grindr tant l’app est devenue la norme en matière de rencontres. Comment améliorer les choses pour que Grindr perde de sa toxicité?

Effectivement, c’est une chimère de penser que l’on peut se passer de Grindr. Ce serait peut-être même du gâchis. Je crois qu’il ne faut rien attendre de la modération de l’entreprise. Elle ne va pas faire des chartes de bonne conduite ni fliquer les gens. Il n’y a pas de solution miracle, mais une amélioration de la plateforme passe par un examen de conscience collectif. Il y a beaucoup d’hommes gay qui sont parvenus à déconstruire les questions de domination masculine dans l’espace public, mais pas dans le domaine de la sexualité. Il s’agit de questionner nos désirs, d’avoir du recul sur nos usages et de nous rendre compte que nos désirs et nos fantasmes sont aussi imprégnés de ces logiques de domination masculine. Et il faut s’interroger: Qu’est-ce qu’on fait? Est-ce que c’est vraiment cela que l’on veut? Est-ce qu’on veut le perpétuer? Est-ce qu’on ne court pas à notre perte? Est-ce qu’on ne va pas se faire du mal? Est-ce que ça ne conduit pas un peu à la ruine communautaire?

Cela amène à repenser ce que c’est d’être gay?

Oui, l’homosexualité ne se résume pas à la sexualité. C’est aussi une certaine sensibilité, une manière de voir le monde, une manière de sociabiliser, une certaine culture aussi. Je crois qu’il faut remettre la sexualité à sa place et investir aussi l’amitié queer qui dessine des rapports autres que ceux de la séduction, de la compétition ou de la rivalité. Cela permet aussi de se réconcilier avec une certaine vulnérabilité, d’accepter de se présenter tel qu’on est et de s’aligner avec ses désirs.

Ce que Grindr a fait de nous: Amours et sexualité à l’ère des applications de rencontre, Thibault Lambert, aux Éditions JC Lattès.