Se faire plaisir, oui, mais pas à n’importe quel prix

Pour encourager les consommateurs·trices à soutenir des petites entreprises locales et à acheter des produits respectueux de l’environnement, la Berlinoise Laura Méritt a lancé au printemps dernier la boutique en ligne FairToy.
«Think global, fuck local»: C’est la profession de foi qui s’affiche sur la page d’accueil du sexshop en ligne FairToy. La majorité des sextoys en vente sur le site sont produits en Allemagne ou en Europe, et sont respectueux de l’environnement: dildos et plugs anals sont fabriqués en silicone médical voire dans des matériaux plus étonnants, comme le bois, et les vibromasseurs disposent tous de batteries rechargeables. L’activiste sexpositive allemande Laura Méritt, qui vend des sextoys depuis de longues années via son site de vente en ligne Sexclusivitäten, entend avec ce nouveau projet aider sa clientèle à faire le bon choix.
– Quelle est l’idée derrière FairToy?
– L’idée, c’est de montrer que les sextoys peuvent eux aussi être durables et que les gens ont le pouvoir de changer quelque chose par le biais de leur manière de consommer. Il en va des sextoys comme des produits bio: on peut non seulement s’intéresser à leur origine et se demander s’il existe des alternatives locales mais aussi à d’autres aspects tels que l’emballage et les conditions de travail des personnes qui les fabriquent.
– Comment aidez-vous la clientèle à se repérer sur le site?
– Nous avons mis en place des filtres de recherche qui permettent aux client·e·s de choisir qui ils/elles veulent soutenir. On peut choisir par exemple de n’afficher que les produits fabriqués en Allemagne, ou en Europe, ou ceux qui viennent de manufactures employant moins de 80, 50, 20 ou 5 personnes. La plupart des entreprises avec lesquelles nous travaillons emploient moins d’une vingtaine de personnes, c’est un choix de notre part. Nos filtres de recherches permettent également de choisir qui l’on souhaite soutenir avec son achat: des femmes, des lesbiennes, des personnes queer et/ou des personnes faisant partie de la communauté BDSM. Nous soutenons en premier plan les petites manufactures locales appartenant à des femmes faisant partie de la communauté queer.
– En quoi votre boutique en ligne est-elle durable?
– Nous n’avons par exemple pas de stocks. La plupart du temps, les sextoys ne sont fabriqués qu’une fois que la commande a été passée auprès du site. Nous refusons délibérément de stocker des produits car cela finit toujours par conduire à détruire les invendus. Nous soutenons les manufactures qui ne sont pas dans une logique de maximisation du profit. C’est un choix politique de refuser cette logique capitaliste qui pousse les entreprises à vouloir s’agrandir et qui conduit à ce qu’il n’y ait au final plus que quelques gros groupes. Et ce sont ces gros groupes qui profitent en première ligne du fait que les gens utilisent plus de sextoys depuis le début de la pandémie. C’est pourquoi il nous importe d’offrir à notre clientèle la possibilité de soutenir des petites entreprises.

– Le site ne permet cependant pas d’afficher les sextoys en fonction de leur marque…
– C’est un choix délibéré de notre part de ne pas citer les marques, de façon à donner une chance aux plus petits, et de montrer à la clientèle que ce n’est pas la marque qui compte, mais la façon dont un sextoy est fabriqué. Mettre en avant les marques, c’est pousser les gens à acheter les produits des noms les plus connus, et c’est le contraire de ce que nous voulons.
– Encourager les gens à acheter des produits écoresponsables et durables, c’est aussi les inviter à moins consommer?
– Oui, le but n’est pas de pousser notre clientèle à collectionner les sextoys, mais d’aiguiser sa conscience en se posant les bonnes questions: De quoi ai-je besoin? Qu’est-ce qui me convient le mieux? Quels critères sont importants à mes yeux?
– Il arrive pourtant parfois qu’un sextoy ne convienne pas une fois déballé ou que l’on ait envie de s’en séparer au bout d’un certain temps, après une rupture amoureuse par exemple…
– Oui, j’organise depuis des années une bourse aux dildos. J’ai un panier dans lequel les client.e.s de ma boutique Sexclusivitäten peuvent déposer les sextoys dont elles/ils ne veulent après une séparation, ou bien parce qu’elles/ils n’ont tout simplement plus envie de les utiliser, ou n’aiment plus leur couleur… Notre clientèle a le réflexe de nous renvoyer les produits plutôt que de les jeter.
– Et ces sextoys d’occasion trouvent-ils facilement preneur·se?
– Cela marche par vagues. Je me souviens que quand j’ai commencé, dans les années 1990, cela fonctionnait plutôt bien. Et puis ça s’est arrêté pendant plusieurs années, car les gens ne trouvaient pas ça hygiénique et cela les dérangeait d’utiliser des sextoys qui avaient été utilisés par d’autres. Aujourd’hui, c’est à nouveau accepté. Nous avons justement organisé une petite bourse aux dildos l’an dernier lors d’une fête queer-féministe et à la fin de la soirée, il ne restait plus rien, à l’exception d’un petit vibromasseur qui n’était pas particulièrement de bonne qualité. Non seulement, les gens sont prêts à utiliser des sextoys d’occasion, mais à les partager. Je connais par exemple quelques colocations à Berlin qui achètent des sextoys en commun et qui ont mis en place un planning pour que chacun·e puisse les emprunter à tour de rôle. J’aime soutenir ce genre d’initiatives. Il est temps de sortir de cette logique de la possession, en misant sur le partage. Cela permet aussi de moins produire, de mieux consommer, et bel et bien d’avoir du plaisir ensemble!