Quand la violence s’immisce dans les couples âgés LGBTIQ+
Impensées et invisibles, les maltraitances conjugales au sein des couples âgés nécessitent une vraie prise de conscience. Celle-ci ne doit pas laisser de côté les seniors LGBTIQ+, comme le rappelle Delphine Roulet Schwab, psychologue spécialisée en gérontologie.
Ce sont des choses dont on ne parle pas, de ces sujets tabou qui suscitent une certaine sidération quand on les aborde, sidération qui fait qu’aussitôt le couvercle soulevé, on le referme immédiatement. En Suisse, entre 300’000 et 500’000 seniors seraient victimes de violences, le plus souvent au sein du couple ou de la famille proche. Parmi elleux, les personnes LGBTIQ+ ne sont pas épargnées. Pour beaucoup, elles constituent des victimes inaudibles et invisibles. La Pre Delphine Roulet Schwab, psychologue spécialisée en gérontologie, professeure HES ordinaire à l’Institut et Haute École de la Santé La Source (HES-SO) Lausanne, explique les raisons de cette invisibilité qui réduit les personnes concernées au silence: «En elle-même, la violence conjugale est déjà un sujet dont on parle peu. Mais, lorsqu’elle a lieu au sein de couples seniors et LGBTIQ+, on ajoute du tabou au tabou. À cela s’additionnent des discriminations liées à l’orientation sexuelle et·ou au genre.»
Outre le non-dit social, il existe de nombreux freins qui font que les seniors LGBTIQ+ victimes de violences au sein de leur couple n’en parlent pas, ne recherchent pas d’aide et ne portent pas plainte. «La perception de la violence peut être influencée par des facteurs générationnels, explique Delphine Roulet Schwab. Les octogénaires d’aujourd’hui ont grandi dans un monde où certaines violences étaient davantage tolérées, voire étaient considérées comme normales.»
Résignation
De fait, pour ces aîné·e·x·s, il peut être difficile, par exemple, d’envisager que la violence conjugale peut être psychologique – humiliations, insultes, contrôle coercitif, etc. ou économique. «Cela peut aussi être des personnes qui ont essayé de demander de l’aide en étant plus jeunes, mais qui ont fait face à une fin de non-recevoir, que ce soit auprès de la police, de services sociaux ou de proches. Et, elles se sont résignées», ajoute la psychologue.
Il faut aussi noter que les ressources d’aides aux victimes de violences sont parfois difficiles d’accès aux personnes âgées (informations disponibles uniquement sur internet, nécessité de se déplacer en ville pour trouver de l’aide, foyers d’hébergements non adaptés aux besoins des seniors, etc.). En outre, il existe des difficultés spécifiques aux seniors LGBTIQ+. «Iels peuvent par exemple avoir une méfiance envers les autorités et une certaine crainte de la police qui les rendent réticent·e·s à considérer cette dernière comme une ressource en cas de violences», spécifie la spécialiste. Elle ajoute que, d’une manière générale, il s’agit d’une génération qui a dû vivre cachée et qui voit bien, aujourd’hui, que le monde des seniors n’est pas pensé pour elle mais pour les personnes âgées cishétéro. Une génération, aussi, qui sait les discriminations que subissent les personnes queer dans nombre d’institutions, et qui ne veulent pas ajouter de la violence à la violence.
Alors que faire aujourd’hui pour sortir ces violences conjugales du placard et permettre aux victimes de trouver de l’aide? «Le premier gros levier est d’informer et de sensibiliser à ces violences au sein des couples LGBTIQ+, ainsi que dans la population générale», estime Delphine Roulet Schwab. Cela peut passer notamment par inclure des seniors LGBTIQ+ dans les campagnes de sensibilisation. Il convient en outre de faire un gros travail de déconstruction des représentations des violences conjugales, de mettre les mots sur les maux, etc. «Il importe que se développent des ressources d’aide sensibles aux questions et aux personnes LGBTIQ+ afin que celles-ci puissent parler en confiance, sans risquer d’être discriminées ou jugées», souligne la psychologue. «Cela demande une vraie formation des professionnel·le·s qui travaillent dans les domaines des violences et du vieillissement.» Il convient enfin de donner davantage de visibilité aux associations safe qui œuvrent d’ores et déjà pour accueillir les seniors queer victimes de violences dans leur foyer. Aujourd’hui, la parole commence tout juste à se libérer, un coup d’accélérateur s’impose.