Lieu de mémoire ou «ghetto du kitsch»?
Un monument berlinois en hommage aux victimes homosexuelles du nazisme suscite une vive polémique à l’intérieur de la communauté LGBT allemande.
La polémique continue autour de la construction prochaine à Berlin d’un monument à la mémoire des victimes homosexuelles du nazisme. Conçu par deux architectes scandinaves, Ingar Dragset et Michael Elmgreen, le monument consiste en bloc de béton percé d’une petite fenêtre où il est prévu de diffuser en boucle une vidéo montrant deux hommes s’embrasser – un hommage aux lieux de rencontre gay d’autrefois, qui furent aussi de 1933 à 1945 (et même plus tard), des lieux de rafle.
La composante exclusivement masculine du projet a indigné certains mouvements féministes et lesbiens, pour qui les lesbiennes victimes du régime nazi ont été purement et simplement évincées du projet. Dans la foulée, le magazine féministe Emma, porte-parole de la contestation, a dénoncé le projet comme un «ghetto du kitsch […], réminiscence de la sexualité voyeuriste des ‘tasses’.»
Tentative de compromis
En réponse à la polémique, l’organisation gay nationale LSVD a proposé de changer après deux ans le type de vidéo projeté, afin de montrer des personnages féminins, justifiant que les hommes homosexuels avaient été persécutés de manière officielle et systématique, mais que «en tant que symbole contre le cloisonnement des gays et des lesbiennes.»
«Compromis grotesque» pour Emma, qui demande la remise à plat total du projet. Le mensuel souligne que le concours n’a pas respecté les conditions imposées par le Bundestag qui avait voté en 2003 en faveur d’un monument à la mémoire des «gays et lesbiennes victimes du national-socialisme.»
Le nombre d’hommes homosexuels allemands emprisonnés, déportés ou condamnés aux travaux forcés atteindrait 100’000 personnes. Non incluses dans le tristement célèbre «Paragraphe 175», les lesbiennes ont toutefois également été persécutées sous le régime nazi. Leur présence est d’ailleurs attestée dans les camps de concentration, où elles étaient désignées de manière distinctive.