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«Je veux vivre avec classe»: un provocateur gay en pays rebelle

«Je veux vivre avec classe»: un provocateur gay en pays rebelle

Louhansk est devenu un endroit effrayant pour la communauté LGBT. Enfant terrible de cette ville dévastée de l'Est ukrainien, le syliste trash Mikhaïl Koptev tient bon.

«Je vous aime, les mecs!» crie un homme d’âge mûr en tendant son gobelet en plastique plein de vodka. «Venez, on va boire un verre», ajoute-t-il en faisant signe à deux costauds en costume froissé, de l’autre côté de la rue. Ils marmonnent quelque chose dans leur barbe et accélèrent le pas.

L’énergumène s’appelle Mikhaïl Koptev. Il se dit la seule star de Louhansk – le Mick Jagger ou l’Elizabeth Taylor de la ville. Vautré sur un banc, près de l’entrée des artistes du centre culturel local, il porte une chemise en jeans sous un pull fuchsia et une casquette à sequins.

Le fait de boire dans les rues de Louhansk est dangereux. A tout moment, une patrouille de la République populaire autoproclamée de Louhansk – le gouvernement rebelle qui a coupé les ponts avec l’Ukraine – pourrait passer, et demander à voir ses papiers. On dit que se promener en état d’ivresse est le meilleur moyen de «finir en cellule», ce qui veut dire se faire dépouiller de tout son argent. Et parfois pire.

Célébrité locale

Les rebelles prorusses ont fait sécession en mai 2014.
Les rebelles prorusses ont fait sécession en mai 2014.
C’est dans ce centre culturel, il y a 20 ans, que Koptev mettait en scène ses premiers défilés de mode provocateurs. En avalant sa vodka, le quadragénaire me dit qu’il était une célébrité locale bien avant l’avènement des nouveaux grands noms – les chefs militaires et le président de la République de Louhansk, Igor Plotnitsky.

A l’époque, Koptev avait commencé à travailler comme mannequin pour une maison locale, Nuance. Les séances photos se déroulaient dans des casernes et des mines de la région. Il est ensuite devenu directeur commercial d’un théâtre, avant de fonder Orchidée, une troupe dont les shows ont fait sensation, avec leurs «costumes absurdes, coiffures fantaisistes, body art bizarre et érotisme hardcore».

Les tenues se composaient de négligés en loques faits de fourrure, de cuir, de plastique, de torchons, de cornes, de crânes, d’enjoliveurs, de jouets d’enfants, bref de tout ce que l’on peut ramasser dans une décharge publique.

Orchidée a fini par se faire connaître au-delà de la ville. Avant que la guerre éclate entre les séparatistes prorusses et les forces ukrainiennes, en 2014, les équipes de télévision venaient de Moscou ou de Kiev pour interviewer Koptev. Même Vice a réalisé un entretien avec lui, où il se proclamait le designer d’ordures le plus distingué du monde.

Un show de Koptev en 2013. Cliquer pour agrandir.
Un show de Koptev en 2013. Cliquer pour agrandir.
Quiconque a vu un des shows érotiques d’Orchidée ne peut l’oublier. Des hommes et des femmes de tous les âges y paradaient en exhibant des parties de leur corps que la décence cache habituellement. Les tenues se composaient de négligés en loques faits de fourrure, de cuir, de plastique, de torchons, de cornes, de crânes, d’enjoliveurs, de jouets d’enfants, bref de tout ce que l’on peut ramasser dans une décharge publique. Les créations de Koptev se détournaient de tout ce qui est pur, harmonieux, poli, paisible et traditionnel.

«Hé!» fait Koptev à un autre passant. Ses grosses mains pleines de bagues serrent toujours son verre de vodka. «A la tienne! A toi et à ta bite.» Le passant s’empresse de disparaître.

Le nouveau Louhansk
«Ça fait 15 ans que je connais Micha», dit Tayana Litman, qui gère depuis 35 ans le principal centre culturel de Louhansk. C’est ici que Koptev a donné les premiers spectacles d’Orchidée. «D’abord, il m’avait demandé un endroit pour stocker ses tenues. Je m’étais imaginée des costumes et des robes, pas des montagne de détritus. Puis il a commencé à mettre sur pied ses shows.»

Elle se souvient du premier de ces événements. «La salle était comble. Mais quand le show a commencé, j’étais assise sur un canapé, priant que mes patrons ne soient pas dans l’assistance. C’était lamentable: des corps nus peints; des gamins avec des cornes, enveloppés dans des peaux de chat. Le public est devenu fou.» En dépit de la réaction de Litman, Koptev a monté d’autres shows érotiques dans ce théâtre tout droit sorti de l’ère stalinienne.

Difficile d’imaginer pire endroit pour des shows érotiques et pour la culture gay provocatrice que le Louhansk d’aujourd’hui. La ville est criblée d’impacts laissés par les snipers et rares sont les fenêtres intactes.

Difficile d’imaginer pire endroit pour des shows érotiques et pour la culture gay provocatrice que le Louhansk d’aujourd’hui. La ville est criblée d’impacts laissés par les snipers et rares sont les fenêtres intactes. Sur la devanture d’un café, un avis du Ministère des situations d’urgence invite les citoyens à ne pas s’aventurer dans des rues qu’ils ne connaissent pas, où ils risque de marcher sur une mine.

Dans la ville désertée, tous ceux qui sont restés ont leur petite histoire de survie. Ces récits se ressemblent: le crépitement des mitraillettes, la vie dans les caves, les nuits blanches, les files d’attente pour chercher de l’eau interrompues par les tirs, les pénuries de nourriture, l’impossibilité de contacter ses proches.

A présent, la ville tente de se relever de la guerre. La vie, misérable, est redevenue relativement paisible. Les usines ne fonctionnent plus; l’eau, l’électricité et le réseau de mobiles sont coupés, mais quelques cafés et restaurants ont rouvert. Leurs clients sont surtout des hommes en armes, dans des uniformes de camouflage dépareillés – alors qu’il n’y a presque plus de tirs dans Louhansk en ce moment.

«Je veux encore vivre»
Voilà dix ans que Koptev vit dans son petit studio de la rue Kommunalnaya. En comparaison avec la pauvreté des environs (l’allée n’a plus de radiateurs – ils ont été vendus à des ferrailleurs par les voisins), l’appartement est une oasis d’opulence. L’endroit est rénové, il a l’air conditionné, un dressing avec une porte coulissante, des rideaux couleur fraise, un sofa en cuir et des coussins élimés incrustés de cristaux Swarovski. Sur la table de chevet est posé un livre intitulé «Stratégies des hommes brillants».

Mikhaïl Koptev
Mikhaïl Koptev. Cliquer sur l’image pour agrandir.
En partageant un verre de vin doux, Koptev parle de la belle vie, et comment elle s’est terminée avec le début de la guerre. Le centre culturel s’était battu jusqu’au bout pour rendre les gens heureux, et il tentait de faire de même. «En avril 2014, on a fait un show dans un nightclub à l’extérieur de Louhansk. On a dû passer sous une pluie de balles. En mai, une chaîne de télé nous a invités à Kiev. Mais je n’ai pas trouvé un seul mannequin. Ils s’étaient tous enfuis de Louhansk. J’ai dû utiliser ma belle-mère. Je dis belle mère, en fait c’est la maman de mon chouchou. Elle sait à propos de nous, alors je l’appelle belle-maman.»

Depuis un an, Koptev a arrêté les spectacles et les soirées. Depuis que la République populaire de Louhansk est en place, il est devenu évident que ceux qui sont aux commandes ont l’intention de s’en prendre à la communauté LGBT. Il y a eu des rumeurs que les homosexuels seraient abattus à vue. Une loi antigay stricte a été débattue, et ils ont défini à quelle date elle entrerait en application.

La communauté gay de la région de Louhansk n’ont pas attendu le début de la répression. Ils ont fui où ils ont pu: Rostov, Voronezh, Kiev, la Crimée. Dans la ville où les militants LGBT avaient leur propre magazine et espéraient un jour organiser une parade, où des discos gay étaient organisées chaque semaine, les gens peuvent tout juste encore rentrer en contact par internet.

«La vérité, c’est que quiconque a un peu d’argent a foutu le camp d’ici il y a bien longtemps.»

Koptev raconte des histoires étranges de gens ordinaires de Louhansk confrontés à des rebelles en uniformes bizarres. «Crois-moi, mec, tout est vraiment effrayant ici. A tes yeux, on dirait que je suis assis sur un canapé en cuir, plein d’audace et de charme dans mes chemises en satin… Mais la vérité, c’est que quiconque a un peu d’argent a foutu le camp d’ici il y a bien longtemps.»

«Je me demande: Micha, t’est une grande fille, tu auras 46 ans en août. Comment tu vois ton avenir? Il y a eu l’URSS, la folie des années 90, la guerre ou la République de Louhansk. Et je veux toujours vivre, et vivre avec classe. Mais quand?»

Et le voilà qui saute du coq à l’âne. «Tout le monde pense que je suis un monstre, mais ce n’est pas vrai. Les gens que l’on classe comme mauvais dans un monde mauvais pourraient bien être, en réalité, des saints. Et ceux qui sont considérés comme des saints pourraient s’avérer des monstres.»

Le diable incarné de Louhansk a revêtu une veste en forme d’ours en peluche. «J’ai raconté assez de conneries», annonce-t-il en levant encore son verre. «Buvons à ta santé, mon pote!»

Article de Denis Boyarinov publié par le «Calvert Journal», traduit de l’anglais par François Touzain.

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