Les fleurs de l’automne
Le projet de la photographe indépendante Hanna Jarzabek est un «work in progress» sur la vieillesse chez les personnes LGBT à Barcelone.
Paulina a 65 ans. Quand elle en avait 23, elle a rencontré l’amour de sa vie et depuis elles ne se sont plus séparées. Elles font partie de cette génération qui est sortie dans la rue pour réclamer l’égalité des droits pour tous. «Nous, les gens de plus de 60 ans, nous avons vécu dans une société très conservatrice. Nous savons ce que ça veut dire de ne pas être libre et de devoir se battre pour l’être. Aujourd’hui, nous avons le droit de nous marier et vivre ouvertement, mais on a l’impression que «le placard» risque de se refermer. Je suis mariée et je vis avec ma femme, mais si un jour, pour des questions de santé, je dois aller dans une maison de retraite ou un hospice, pourrais-je y vivre librement? Pourrais-je y habiter avec ma femme et exprimer ma vie émotionnelle sans aucune crainte ni restriction?»
Marià a 87 ans. Il voit sa vie comme une succession de phases chaotiques et amères. Il s’est marié parce qu’il avait besoin de définir son rapport aux femmes. «Je pensais que si je me mariais, les gens arrêteraient de s’intéresser à ma vie privée et ne me poseraient plus des questions. Au début tout allait plus au moins bien. Mais avec le temps, le peu d’homme macho et viril qu’il y avait en moi s’est usé. Quand j’étais marié, je rêvais souvent des hommes. Et une fois j’ai parlé dans mon sommeil. Je disais : Quel joli corps tu as, comme tu me plais, je voudrais te toucher… je suis tout à toi. C’est comme ça que ma femme a découvert que j’étais gay, et après de longues discussions, on a décidé de se séparer. Mes deux filles ne m’ont jamais pardonné». Depuis, Marià n’a aucun contact avec ses filles. Il vit seul et se trouve dans une situation économique très précaire. Il y a 6 ans, un ami lui a laissé son ancien bureau. Il fallait installer une douche et une cuisine, et Marià a pu y emménager. Pour lui, c’était une solution parfaite, puisqu’il devait payer seulement l’électricité et l’eau. Mais le problème réside plus dans le fait que personne d’autre ne vit dans cet immeuble abandonné. Si quelque chose lui arrivait, personne ne s’en rendrait compte.
Une forme de peur
La réalité de Marià, n’est pas très différente de n’importe quelle autre personne âgée. Mais dans le cas des personnes homosexuelles, souvent la solitude et la vulnérabilité se manifestent plus intensément. Pour le moment Marià arrive à s’occuper de lui-même. Il fait tout tout seul : la cuisine, la lessive, les achats. Mais un jour, il devra peut-être aller dans une institution, et il appréhende ce moment avec une certaine angoisse. «Quand je rencontre quelqu’un de nouveau, je dois d’abord l’observer un peu, voir comment il pense pour savoir si je peux me sentir à l’aise et en confiance avec lui. Dire à quelqu’un «je suis gay» peut me causer des problèmes. Une personne peut s’éloigner de moi, ne plus vouloir savoir quoique ce soit de moi… Ce n’est pas parce que nous avons maintenant des lois plus avancées que tout va parfaitement bien. Changer les mentalités, ça prend beaucoup de temps… Moi, je n’ai pas pu me réaliser pleinement. Ma vie a été très compliquée et j’ai dépensé toute mon énergie à essayer de me faire comprendre et me faire accepter comme je suis. Maintenant je suis fatigué. Un vieux n’est pas contestataire. Un vieux, c’est quelqu’un qui veut juste passer ses derniers jours en toute tranquillité.»
«Un vieux n’est pas contestataire. Un vieux c’est quelqu’un qui veut juste passer ses derniers jours en toute tranquillité.» Marià
Pako, c’est l’extrême opposé. Il a 72 ans et dit qu’il a surtout peur de ne pas avoir assez de temps pour faire tout ce qu’il a envie de faire. Pour lui, c’est la meilleure époque de sa vie. Il se sent enfin libre, en accord avec lui-même, et il n’a plus peur de se montrer au gens comme il est. Il fait ce qu’il aurait dû faire quand il avait 18 ans, parce que maintenant personne ne peut le lui interdire. Mais le chemin vers une vie pleinement ouverte n’a pas été facile pour lui non plus. Quand il était jeune, il pensait que l’homosexualité était contre nature et qu’en faisant un effort il pourrait contrôler «ses pulsions» et devenir hétérosexuel. Il en a parlé avec le curé de son village et il a décidé de se marier. «Fonder une famille a toujours été la plus grande illusion de ma vie. Et après avoir parlé avec le curé, je me suis dis que je pouvais le faire. Je l’ai cru, à tort. Chaque fois que je succombais à mes pulsions, je rentrais à la maison et je prenais une longue douche… je frottais mon corps très fort… Et plus le temps passais, plus tu commences à comprendre que tu ne peux rien n’y faire, t’es comme ça… mais t’as déjà un enfant et tu ne sais pas comment sortir de cette situation. Donc tu continues… jusqu’au jour où tout explose et là, tu ne peux plus faire marche arrière.» Aujourd’hui, Pako vit dans un petit village où il donne des cours de crochet dans une maison pour personnes retraitées. Dans sa classe il n’y a que des femmes bien sûr. Toutes savent que Pako est homosexuel et disent n’avoir absolument aucun problème avec ça. Et les hommes ? «Comment me traitent les hommes dans cette maison de retraite? Je n’ai jamais eu de problèmes», dit Pako. Mais force est de constater que dans les couloirs ou dans la salle de jeux, aucun homme ne lui dit bonjour.
La meilleure période de sa vie
J’ai demandé à Pako s’il avait peur de retourner dans «le placard» si un jour il devait aller vivre dans une résidence. Il m’a regardé, et il a dit avec une force presque inquiétante : «Pour rien au monde je n’y retournerai. Comme beaucoup d’autres personnes de mon âge, j’ai passé une grande partie de ma vie coincé en marge de mon identité. Ça m’a coûté beaucoup pour arriver jusque là… je ne suis pas prêt à y renoncer, en aucun cas, pour rien au monde.»
Ça m’a coûté beaucoup pour arriver jusque là… je ne suis pas prêt à y renoncer. Pour rien au monde.» Pako
Dernièrement, le Conseil municipal de Barcelone a pris conscience de ce phénomène et essaye de connaître mieux les besoins et les problèmes des personnes âgées homosexuelles. Au cours de ces dernières années, dans plusieurs villes d’Espagne, différents collectifs LGBT ont planché sur la construction d’une résidence pour les personnes dans cette situation. Mais l’idée n’a finalement pas été retenue, faute de financement ou par peur de ghettoïsation. En 2010, dans la capitale catalane, un programme de formation pour les professionnels travaillant dans les résidences et les hospices a été mis en place. Il est mené par la fondation Enllaç (crée par et pour les personnes LGBT âgées) sous l’égide du Conseil municipal et d’un programme européen contre l’homophobie. Quelques séances de formation et un ciné forum sur le sujet ont été organisés, mais, pour l’instant, l’initiative n’est pas allée beaucoup plus loin.