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Au Kirghizistan, des associations en lutte pour les droits des LGBT

Tandis que la pression homophobe s'accroît en Russie ou en Ukraine, qu'en est-il dans les pays d'Asie centrale de l'ex-URSS? Eléments de réponse avec l'activiste Anna Kirey, basée au Kirghizistan.

Anna Kirey est chercheuse à Human Rights Watch, spécialisée dans les questions LGBT en Europe de l’Est et en Asie centrale. Elle est également la fondatrice de Labrys, une des plus importantes organisations LGBT d’Asie centrale, fondée en 2004 à Bichkek.

Eurasianet: Pouvez-vous décrire à quoi ressemble la vie pour les personnes qui s’identifient comme LGBT au Kirghizistan, où vous avez commencé votre travail de défense des droits des gays? Comment se distingue-t-elle de la situation dans d’autres pays d’Asie centrale?

Anna Kirey: Le Kirghizistan peut faire figure d’exemple pour beaucoup d’ONG traitant avec les droits des LGBT et des droits de l’homme en général. Le pays est instable politiquement, mais cette instabilité donne beaucoup de place à des opportunités. Le Kirghizistan a adopté une très bonne loi sur la violence contre les femmes. Tout récemment, les condamnation pour des affaires d’enlèvements de femmes [en vue de mariages forcés, ndlr] ont augmenté.

Je pense que cela dépend en grande partie du statut des personnes concernées. Nous savons que les musulmans ont plus de mal à faire leur coming-out que les chrétiens. Les villes sont également un milieu plus favorable aux personnes LGBT que les zones rurales, parce que vous êtes plus anonyme et que le regard de la communauté pèse moins.

Asie centraleEn ce qui concerne les autres pays, en Ouzbékistan et au Turkménistan, les relations sexuelles entre hommes sont criminalisées. La situation est donc encore plus difficile pour les gens là-bas, et il y a encore davantage de gens qui se cachent. […] Au Tadjikistan il est beaucoup plus difficile d’être visible parce que c’est une culture plus conservatrice. Quant au Kazakhstan, les groupes LGBT y font face au même genre de pressions que les autres groupes de la société civile.

Eurasianet: On a récemment dénombré douze associations LGBT ou travaillant en lien avec LGBT au Kirghizistan. Sur quelles problématiques travaillent-elles?

AK: Il y a des voies plus sûres que d’autres. La plus sûre est le travail sur le VIH/sida, car ces organisations fournissent des services non seulement pour les personnes LGBT, mais pour d’autres groupes, de sorte qu’ils ne peuvent pas être pris pour cible. Certaines d’entre elles offrent leurs services aux hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes, même dans le sud [une région très conservatrice], à Och.

[A Labrys], depuis le début, nous avons une sorte d’organisation qui aide les personnes ayant fui leur famille après la découverte de leur orientation LGBT. Des gens ont été confrontés à des violences physiques, des séquestrations, voire dans certains cas de femmes lesbiennes ou de personnes transgenres, à des viols par des membres de la famille. Des hommes gay sont aussi battus, mais ils ont davantage de possibilités de partir, parce qu’ils ne sont pas censés vivre avec leur famille jusqu’au mariage.

Ce qui est délicat, c’est que dans des situations de violence familiale, les gens ne veulent pas rapporter les faits. […] Pourtant, il y a des lois pour les protéger, mais il est difficile pour eux de commettre ce qu’ils considèrent comme une atteinte à leur famille.

Eurasianet: Pouvez-vous parler du projet sur lequel vous travaillez spécifiquement, à propos des hommes gay et bisexuels face aux violences policières? Vous avez mentionné que c’était un problème particulièrement préoccupant dans le sud du Kirghizistan.

AK: En été et en automne 2012, j’ai interviewé 34 hommes gay et bisexuels dans quatre villes différentes. J’ai tout entendu: extorsions, détentions arbitraires, coups, et même parfois des viols collectifs. […] Les hommes qui vivent leur homosexualité clandestinement sont des cibles pour la police. On peut facilement leur extorquer de l’argent. La première chose qu’ils demandent quand ils arrêtent quelqu’un est: «vos parents savent?» Pour certaines personnes, ce type de scénario peut se répéter plusieurs fois, dans différentes parties de la ville. Les policiers sont à la recherche de signes que quelqu’un est gay: une chemise brillante ou une boucle d’oreille, par exemple.

Les policiers utilisent aussi les site web de rencontre. Ils créent un faux profil avec la photo d’un jeune homme et essaient d’obtenir autant de messages que possible. Une fois qu’ils ont établi leur plan, ils vont demander de l’argent. Ce type de chantage peut aller de 500 soms (12 dollars) à 1000, voire 10’000 dollars dans certains cas. Ils tentent d’obtenir autant que possible.

Toujours dans le sud, à Och, j’ai rencontré quelques cas très, très récemment. Les hommes homosexuels que j’ai interviewés étaient encore dans une grande détresse. Il me semble que là-bas, les abus sont beaucoup plus systématiques. Certains de mes contacts sont d’ethnie ouzbek. La violence policière à leur encontre est omniprésente et bien documentée. Etre gay et ouzbek, c’est une double entrave.

Eurasianet: Qu’en est-il des efforts de la Russie et de l’Ukraine visant à interdire les soi-disant «propagande de l’homosexualité»? Se passe-t-il quelque chose de semblable au Kirghizistan?

AK: Quelques militants LGBT au Kirghizistan sont très inquiets qu’une législation similaire soit adoptée, mais je pense que le pays est trop sensible à la pression internationale. […] Au Kirghizistan, même s’il y avait un texte de ce type en préparation, il serait très vite retiré.

Cela dit, la justice kirghize a fait interdire la diffusion d’un documentaire sur les musulmans gay au Maroc – une violation de la liberté d’expression. Mais je pense que quelque chose de semblable [à la loi russe contre la «propagande homosexuelle»] a plus de chances d’émerger au Kazakhstan. Ce pays est, en ce moment, très proche de Moscou, notamment avec l’union douanière.

Une chose qui m’inquiète, c’est que du moment que nous sommes de plus en plus visibles, les groupes radicaux vont commencer à prendre plus au sérieux les organisations LGBT. C’est ce qui s’est passé en Russie et en Ukraine. Les deux pays ont des groupes néonazis et nationalistes. On n’en est pas là au Kirghizistan, même si le nationalisme est en plein essor. Cela dit, je ne pense pas que cela pourrait arriver à Bichkek en raison de la diversité ethnique du pays.

Article publié par Eurasianet.org. Traduction: Antoine Gessling, 360°