«Kill The Gays», une arme de diversion massive
Vrai serpent de mer, le projet de loi durcissant la répression des homosexuels fait partie d'une stratégie cynique du régime Museveni, miné par la corruption et mis sous pression par les pays donateurs.
Les Ougandais n’auront pas le «cadeau de Noël» que leur promettait la présidente du Parlement de Kampala, Rebecca Kadaga. Les travaux de l’assemblée se sont achevés vendredi sans que se concrétise le projet de loi renforçant la répression de l’homosexualité dans le pays. Dans sa forme initiale, il préconisait la peine de mort pour «homosexualité aggravée», mais ses dernières moutures prévoyaient plutôt la prison à perpétuité. Pour Jocelyn Edwards, une reporter spécialiste de l’Afrique de l’Est, cet énième renvoi du texte n’est pas une surprise. Cela fait maintenant trois ans que le «Kill The Gays Bill» fait des apparitions sporadiques dans l’arène politique ougandaise, soulevant son lot de protestations internationales… avant de retourner au frigo. Ce petit jeu pourrait durer encore un certain temps. Sur le site «The Daily Beast», la journaliste estime que le texte n’est rien d’autre qu’«un écran de fumée masquant les problèmes les plus urgents de l’Ouganda».
Sanctions
Au premier rang de ceux-ci, les récentes coupes dans l’aide occidentale. L’Irlande, la Norvège, la Suède, le Danemark, le Royaume-Uni et l’Allemagne ont réduit de 180 millions de dollars leur contribution à l’Ouganda. Un coup dur pour le pays, dont un quart du budget provient des agences de développement. Ces coupes ne sanctionnent pas la persécution de minorités sexuelles, mais la corruption endémique qui mine l’Etat ougandais. Dernièrement, ce sont 15 millions de dollars d’aide à la reconstruction du nord du pays, ravagé par la guérilla de Joseph Kony, qui auraient fini dans les poches de membres du Gouvernement.
Marchandage
Dans ce contexte, le «Kill The Gays Bill» arrive à point nommé pour reléguer à l’arrière-plan les dossiers les plus brûlants: la corruption, mais aussi du rôle de Kampala dans les troubles qui agitent l’est de la République démocratique du Congo ou l’appropriation par des proches du pouvoir de richesses pétrolières. L’attention internationale portée à la question des minorités sexuelles en Ouganda est aussi une carte à jouer pour le président Yoweri Museveni, au pouvoir de puis 27 ans. Il apparaît comme le seul en mesure de faire échec à un texte souhaité par une écrasante majorité des élus et soutenu par des foules chauffées à blanc par des prédicateurs évangéliques. Le vieux chef d’Etat a tout intérêt à entretenir une certaine ambiguïté face à cette loi anti-homos, et à marchander un éventuel veto. «Il pourrait être heureux de voir son intervention sollicitée par des diplomates de haut rang, écrit Jocelyn Edwards. Vu le besoin de cash pour son pays, il pourrait avoir, en échange, quelques demandes à leur formuler.»