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Le printemps homo devra attendre

L'Egypte vit une nouvelle vague de soulèvements et de répression meurtrière. Parmi les milliers d'anonymes qui réclament liberté et démocratie, des homosexuels. La parole est à eux.

En janvier dernier, le blogueur cairote et homosexuel «Ice Queer», en voyage en Europe, faisait part de la confusion de ses sentiments où se mêlaient frustration, mal du pays et envie envers la liberté dont il profitait pendant son séjour à l’étranger. Dans le même temps, l’Egypte vivait une véritable révolution qui allait voir la chute de Hosni Moubarak et la floraison d’espoirs démocratiques. Un an plus tard, les récents soulèvements montrent que le chemin est encore long. Qu’en est-il pour les homosexuels? Première remarque: aucune femme n’a répondu à notre appel à témoins. Ensuite, nous avons été frappés par la volonté des interviewés, qui ici témoignent sous couvert d’anonymat, de rester lucides.

Oui, en 2001, 55 hommes (dont un mineur) étaient arrêtés, dans une discothèque fréquentée par le milieu homosexuel du Caire, pour débauche et insulte à la religion. Près de la moitié d’entre eux avaient été condamnés à des peines de prison et de surveillance policière avant que le président Moubarak ne casse, en partie, le verdict. Une affaire qui avait mobilisé des associations de défense des droits de l’Homme dans le monde entier. Mais la situation n’est pas non plus si sombre qu’on pourrait le croire. La Toile, dont les réseaux ont largement aidé à mobiliser les manifestants du printemps arabe, sert d’exutoire, d’espace de débats et de plate-forme de rencontres pour les homos. «Le Net et la révolution amenée par le satellite ont permis à de nombreux hommes de s’ouvrir à des cultures différentes et de changer leur perception d’eux-même», indique le blogueur Ahmed Awadalla. Sur son blog «Rebel with a cause»*, Ahmed Awadalla dénonce les tabous de la société égyptienne: réfugiés politiques, cas de torture, discrimination des malades du sida… Et homosexualité. «Elle reste, c’est vrai, un grand tabou. Mais c’est, en fait, toute la sexualité qui est tabou. En même temps, tient-il à préciser, la situation est moins grave que la manière dont elle est généralement peinte. Le taux de crimes homophobes est très bas, et dans certains quartiers du Caire, la présence gay est tolérée.»

«C’est toute la sexualité qui est tabou»

Quid de l’avenir? Il est bien tôt pour se montrer optimiste. «Les soulèvements n’ont pas vraiment fait bouger la situation parce que pour l’heure, les forces militaires sont encore au pouvoir*. Ce qui est certain, c’est que nombre d’Égyptiens ont brisé les chaînes de la peur. Il faut espérer qu’à terme, cela améliorera la situation de tous les citoyens du pays, quels que soient leur genre, leur couleur de peau, leur religion ou leur orientation sexuelle. Le problème, c’est que nombreux sont ceux, y compris parmi les activistes, qui pensent qu’il est encore trop tôt pour aborder les questions autour de la sexualité. Mais alors, quand?»

*«Rebel with a cause», le blog d’Ahmed Awadalla (en anglais) www.rwac-egypt.blogspot.com

«Ice Queer»

23 ans, étudie la médecine au Caire

«J’ai grandi dans une famille modérée, plutôt ouverte. L’homosexualité n’y était pas un tabou, sans être un thème de discussion non plus. Mon orientation a été plus facile à accepter lorsque j’ai admis que je pouvais à la fois être homo et musulman, ou disons croyant. Même si aujourd’hui, je suis plutôt agnostique… La plupart de mes amis hétéros sont au courant, et certains ont rencontré mon compagnon.

Je pourrais me faire arrêter à cause de mon blog. Je reçois toutes sortes de réactions, mais pas – encore – de menaces. Une chose est sûre: le Net a grandement facilité les possibilités d’interaction et de rencontres pour les homos. Le Printemps arabe nous a permis d’être plus ouverts, de prendre conscience de nos droits et d’avoir moins peur. Mais il faudra encore beaucoup de temps pour que la situation change réellement.»

«Confessions Room», le blog d’ «Ice Queer» (en anglais) www.confessions-room.blogspot.com

Fahid*

la vingtaine, étudiant et entrepreneur indépendant, Le Caire

«J’étais sur la plage, à la Mer Rouge. J’avais nagé toute la journée. Étendu sur le sable, je regardais les corps des baigneurs. J’appréciais la beauté des femmes, mais je me suis tout d’un coup rendu compte que j’avais du désir pour les hommes. Comme dans ces films américains où les personnages, les yeux ronds et la bouche entrouverte, comprennent subitement quelque chose qui leur avait échappé, vous voyez? Je ne savais pas trop quoi faire alors j’ai souri à mon voisin. J’ai grandi dans une famille moyenne, très aimante et sécurisante. Nous ne parlions pas de sexe, mais c’est le cas dans la plupart des familles, non? Alors parler d’homosexualité…

Ça a été dur d’accepter que j’allais à l’encontre des normes sociales, surtout quand c’est mêlé à des discours religieux et que l’homosexualité est mise au même plan que le viol ou la pédophilie. J’ai décidé d’aller voir un psychiatre pour qu’il m’aide à m’en sortir. Et bien, c’est l’une des meilleures décisions que j’ai prise! Car bien malgré lui, ce psychiatre m’a aidé à accepter qui j’étais. Je suis sorti de ces neuf mois de dépression et de confusion en total accord avec moi-même. Ce mois de juillet 2007, c’est une véritable renaissance. Je vis seul, je gère mon quotidien, alors je préfère un partenaire fort et indépendant. C’est vrai que de ne pas être reconnu socialement n’aide pas à entériner une relation. Mais paradoxalement, si deux hommes vivent ensemble dans un appartement, personne n’y trouve à redire, contrairement à un homme et une femme non mariés. L’homo-érotisme, surtout entre les hommes, est extrêmement répandu. Il est courant de voir des hommes se serrer dans les bras ou se tenir par la main. Une photo prise cette année montre un islamiste tenir la main d’un homme allongé sur ses genoux, dans une position très sentimentale. Il me semble que les gens ont une idée très stéréotypée de l’Egypte. Soit un pays où un étranger peut facilement coucher avec un hétéro pauvre et frustré, ou, au contraire, un pays où toute implication dans une activité gay est forcément dangereuse. La réalité est entre les deux. Il y a des quartiers du Caire où un hétéro ne serait pas très à l’aise, même si ce n’est pas comme à New York ou Amsterdam.

La société peine encore à voir ce qui est ‘différent’ comme quelque chose de bon, d’utile. Voyez le blogueur Maikel Nabil Sanad, qui a été jeté en prison pour avoir exprimé des opinions anti-militaristes et prôné le dialogue avec Israël. Il a reçu très peu de soutien de l’opinion publique, y compris de groupes de défense des Droits de l’Homme, en raison de ses positions sur Israël. Cela me fait dire que si nous descendions aujourd’hui dans la rue pour réclamer des droits LGBT, ce ne serait pas mieux. Ce serait probablement pire, parce que là vous allez non seulement à l’encontre des opinions politiques mais des normes sociales et religieuses. Un jour, peut-être…»

Salif*

19 ans étudiant en arts plastiques, Le Caire

«J’ai grandi dans une famille de la classe moyenne, typiquement conservatrice et religieuse. Ma mère est illettrée, mon père vient de la campagne. En fait, je ne savais même pas si ce que je ressentais était bien ou mal. J’ai commencé à surfer sur des blogs en anglais, et lors d’un chat, un internaute m’a dit qu’Allah m’enverrait en enfer. Alors je me suis renseigné sur ce que disait l’Islam. Trois jours durant, j’ai prié et lu le Coran pour ne plus penser aux hommes. J’étais dans un état de confusion terrible, terrassé par l’idée que Dieu me haïssait. Mais après trois jours, je me suis rendu compte que je ne faisais rien de mal. Aujourd’hui, je me sens parfaitement à l’aise avec qui je suis. D’ailleurs, je peux vous dire qu’être hétéro en Égypte n’est pas terrible non plus.

Toute cette souffrance parce qu’on ne ressent pas les mêmes choses que les autres… C’est très difficile d’avoir une relation, quelle qu’elle soit, de trouver des gens qui vous acceptent tel que vous êtes. Si vous leur cachez des choses, vous vous sentez seul, mal à l’aise. Et s’ils l’apprenaient, vous pourriez tout perdre, amis, famille, travail… Peut-être même la vie. Et ce n’est pas parce que vous êtes homo que vous avez forcément des choses à dire aux autres homos. Sans parler des relations amoureuses. C’est comme l’amitié, mais il faut en plus qu’il vous plaise et qu’il partage des choses comme d’avoir fait son coming out ou être athée… De manière générale, je n’en parle pas. Ou alors seulement quand je suis vraiment en confiance. Je pense que le soulèvement a ouvert les yeux de certains homos sur le fait qu’il y a beaucoup à faire et qu’il ne s’agit pas seulement de coucher à droite à gauche. J’ai vu beaucoup d’homos sur la place Tahrir. Mais pour l’instant, il faut rejoindre le combat pour la liberté. Le reste viendra peut-être. Peut-être que les écrivains et les réalisateurs pourraient faire allusion aux souffrances des gays.»

Mohammed*

19 ans, étudiant en architecture, Le Caire

«Pour ma famille, l’homosexualité est totalement interdite. C’est vraiment difficile d’avoir des relations, de vivre dans l’ombre. En fait, j’ai une double vie, et c’est vraiment étrange de vivre dans une société qui n’a pas de compassion envers nous. Le soulèvement ne changera rien, en tout cas pas ces prochaines années. Il n’y a pas de communauté homo en Égypte. Pas encore!»

* Prénoms fictifs