«On ne parle que des besoins d’hommes handicapés hétéros»
Le nouveau cycle de conférences proposé par le Centre Maurice Chalumeau en sciences des sexualités de l’Université de Genève (CMCSS) cet hiver a pour thématique «Handicap & sexualités». Trois rendez-vous pour déstigmatiser la sexualité des personnes handicapées et visibiliser leurs désirs, aussi pluriels que singuliers. Le point avec la sociologue Elena Pont, co-organisatrice de cette série d'événements.
Chaque semestre, le CMCSS propose d’explorer un sujet de société par le prisme de la sexualité. Son nouveau cycle «Handicap & Sexualités. Penser les corps et les sexualités dans une perspective antivalidiste» s’articule autour de trois événements. «Nous abordons le handicap en tant que rapport social, c’est à dire un rapport de domination, de discrimination, d’infériorisation. C’est pour cela que le terme de handicap est au singulier», explique la chercheuse Elena Pont. «Et nous parlons de sexualités au pluriel, afin d’inclure les différentes orientations sexuelles et les formes que peut prendre la sexualité dans les situations de handicap.»
Docteure en sciences de l’éducation et en sociologie, intervenante dans des formations à l’Université de Genève, Elena Pont est également membre du Réseau d’études handi-féministes (REHF), qui rassemble des universitaires handicapées des pays francophones et qui a pour but de «diffuser des savoirs sur le genre et sur le handicap à partir d’une perspective critique et féministe» par le biais de conférences en ligne qui se veulent totalement accessibles aux personnes handicapées, comme l’explique Elena Pont. La plupart des intervenant·e·x·s du cycle de conférences sont membres du REHF.
L’art comme outil d’affirmation de soi
La première rencontre, «Rien sur nous, sans nous», aura lieu ce jeudi 14 novembre sous la forme d’une table ronde avec le comité d’accompagnement d’une thèse de doctorat sur l’éducation sexuelle, visant à souligner l’importance d’inclure des personnes concernées dans la recherche. Le second rendez-vous, mercredi 20 novembre, intitulé «Corps, Handicap, Intimités & Arts», réunira la chercheuse et commissaire d’exposition Sarah Heussaff et l’artiste multicartes non binaire Lucie Camous. D’un point de vue à la fois scientifique, militant et artistique, cette discussion abordera l’art en tant que puissant outil d’affirmation de soi pour les personnes handicapées.
Le cycle de conférences s’achèvera en début d’année prochaine, le 16 janvier, par la projection du documentaire Yes, We Fuck, suivie d’une discussion portant sur la thématique «Sexualités, Handicap, Luttes & Résistances» entre Elena Pont, la philosophe Anaïs Choulet-Vallet et la sociologue Alexia Boucherie. «Ce film d’Antonio Centeno & Raúl de la Morena montre comment des personnes handicapées, porteuses de toutes sortes de troubles, cherchent à dépasser les rôles attendus, les discriminations, les difficultés à établir des contacts sexuels avec des personnes valides. Elles recherchent des expériences différentes dans des contextes inattendus, en allant au-delà des orientations sexuelles, à la recherche de ce qui leur convient», explique Elena Pont.
Les pieds dans le plat
Taboue ou réduite à des clichés sordides, voire fétichisée par les valides, la sexualité des personnes handicapées reste un continent inexploré dans la production médiatico-culturelle. Ces dernières années ont vu tout de même débouler deux micro-séries, l’argentine Un mètre vingt et l’australienne Latecomers (en ligne sur Arte.tv jusqu’au 14 mars 2025) ont chacune pour personnage principal une jeune femme handicapée. Elles mettent les pieds dans le plat avec appétit, humour noir et tendresse, sans apitoiement, sur les déconvenues de leurs héroïnes en quête de sexe. Mais selon la chercheuse, «ce sont les arbres qui cachent la forêt»: «Dans n’importe quel autre espace de discussion mainstream sur la sexualité ou les sexualités, il n’y a pas de personnes handicapées qui participent.»
Majoritairement, les représentations audiovisuelles et médiatiques de la sexualité des personnes handicapées sont celles mettant en scène un homme en fauteuil roulant dans les bras d’une travailleuse du sexe. «On ne parle que des besoins d’hommes handicapés hétérosexuels», déplore Elena Pont. La sexualité des femmes, des lesbiennes, des gays, des personnes queer handicapées est un impensé de notre imaginaire collectif.
Et ce alors que s’exercent les mêmes rapports de domination que chez les valides. L’accès au sexe des hommes hétérosexuels handicapés se fait, par exemple, de manière safe, contrairement aux femmes et aux personnes LGBT*: «Ils font appel à des travailleuses du sexe ou des assistantes sexuelles et ne risquent pas du tout ou très peu l’abus, même s’ils ont des limitations physiques qui ne leur permettraient pas de se défendre. Alors que les femmes handicapées hétérosexuelles, les femmes trans se retrouvent elles dans des positions extrêmement vulnérables. Donc on voit aussi très bien ce clivage hétéro-sexiste parmi la population handicapée», note la sociologue. Ce sont ces inégalités et ces angles morts que ces trois conférences veulent justement mettre en lumière.
Plus d’information sur le cycle «Handicap & Sexualités. Penser les corps et les sexualités dans une perspective antivalidiste» à retrouver sur le site du Centre Maurice Chalumeau en sciences des sexualités de l’Université de Genève: unige.ch/cmcss