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Le jour où «les pédés et lesbiennes ont regardé Lausanne les yeux dans les yeux»

Le jour où «les pédés et lesbiennes ont regardé Lausanne les yeux dans les yeux»
24 heures et La Tribune Dimanche n'avait pas manqué l'événement, ce samedi 4 juillet 1981.

L'Homomanif 81, tout premier défilé homosexuel en Suisse romande, aura bientôt 40 ans. Une Pride avant la Pride dont la presse d'alors avait rendu compte entre amusement et indignation.

Sur les tracts, ni «Pride» ni «Fierté», pas plus que le sigle LGBT ni l’exotique mot «gay»… En ce 4 juillet 1981, c’est une «Homomanif» qui est annoncée à Lausanne à l’appel de la Coordination homosexuelle suisse (désigné sous l’ironique acronyme «Chose»). Son organisation est laborieuse dans une capitale vaudoise chahutée par des mois de défilés contestataires sous la bannière Lausanne Bouge. Prévue d’abord le 27 juin, date anniversaire des événements de Stonewall, l’événement est repoussé d’une semaine par des autorités embarrassées. «Les échanges de lettres entre la Municipalité et les organisateurs remplissent un plein classeur. Un vrai délice pour les exégètes de l’hypocrisie», écrit Maxime Châtenay dans L’Illustré. Au bout de cinq mois de tergiversations, on arrive à un compromis: le cortège évitera les «grands axes» pour cheminer sur des rues piétonnes (lire ci-dessous).
 
C’est donc au pied du Petit-Chêne, à côté du rutilant MacDo, que l’on se retrouve. L’affluence décevra les observateur·trice·s, qui attendaient 2000 personnes, comme à Bâle l’année précédente. Ils seront 500, «entre une double haie de spectateurs et de curieux, le sourire en coin, essayant de découvrir, parmi les manifestants, un visage connu», lit-on dans 24 heures. Beaucoup arborent des petits masques de bal relevés sur le front ou pendus autour du cou, symboles de leur volonté d’apparaître au grand jour.
 
Outrage
Quand la foule se met en marche, l’atmosphère est festive et estivale: shorts, débardeurs, boas, fleurs, maquillages… Et ces couples d’hommes et de femmes qui se tiennent par la main «faisant fi des quolibets et des railleries qui fusaient de certains citoyens outrés», résume le quotidien vaudois. Les journalistes ne perdent pas une miette des slogans: «Protégez vos enfants de vos propres préjugés», «Les pédés dans la rue, pas sur les trottoirs» et surtout un «Vos fesses nous intéressent», dont La Tribune Dimanche fait son gros titre. De quoi susciter quelques remous à l’issue du défilé, place de la Riponne: on y réclame «d’envoyer tout ça [à la prison du] Bois-Mermet» et on y invoque Hitler. «On devrait leur donner une ville, pour qu’ils aillent faire «ça» sans déranger personne», soupire une passante citée par L’Illustré.

Le tract de l’Homomanif 81, signé de la Chose et du GLH.

 
L’édito des NRL (organe du Parti radical vaudois) est brutal. André Marcel s’en prend à «une avant-garde de demeurés»: «Des garçons et des filles qui avaient un point commun… le rachitisme. Ils étaient malingres, souvent avec des faces de minus, enfantins dans leurs provocations!» Dans La Tribune Dimanche, Cédric Dietschy déplore une manif qui aggrave les préjugés: «On s’envoyait des «ma p’tite folle» à tour de bras. La grimace, au lieu du sourire. Le message ne passe pas. Quand on se dit différent des autres, il ne faut pas les singer. Sinon, on se singe soi-même.»

Bourse Autos, la revue romande de l’occasion est plus violente encore. Ironisant sur l’Année du handicap décrétée par l’ONU en 1981, le rédacteur en chef Claude Jacot glose sur ces «handicapés du sexe» défilant «non main dans la main, mais main sur les fesses du voisin», une parade digne «du cirque Knie». «Quant à obtenir le droit au respect, les pédérastes n’ont qu’à se faire soigner (c’est un droit que je leur reconnais) afin de participer à la continuation de notre race.»
 
«Peur de la différence»
D’autres médias, comme La Suisse et L’Illustré se montrent bienveillants. «L’espace d’un cortège, les pédés et les lesbiennes ont regardé Lausanne les yeux dans les yeux», salue le second. «Aucune mesure légale, aussi libérale soit-elle, ne parviendra à changer quoi que ce soit dans une société qui, par peur de la différence, nivelle tout ce qui ne ressemble pas à l’idéologie dominante. La différence peut s’appeler juif, nègre ou pédé. Le degré de haine varie selon l’emplacement géographique. L’Occident n’en est pas moins porteur, dans son essence.»

«Nous les filles, on était toujours infantilisées… On entendait des «Oh, c’est dommage vous êtes mignonne et vous n’aurez jamais d’enfants!»

 
«On était sûres de nous, c’était festif, militant… on avait raison, quoi!», se remémore Christiane Parth, aujourd’hui coordinatrice de Lestime. À 22 ans, la militante genevoise avait fait le déplacement avec son amie. «On avait l’impression que tout Lausanne était au bord de la route à nous regarder.» Lancé à la face de ce public sévère, un slogan (ou plutôt une sorte de comptine), l’avait marquée: «Papa, Maman, ton fils est un pédé! Papa, Maman, ta fille est une lesbienne!» «Moi je trouvais ça marrant, mais très insolent.» Elle avait remarqué que les garçons étaient plus attaqués que les filles. «Nous, on était toujours infantilisées… On entendait des «Oh, c’est dommage vous êtes mignonne et vous n’aurez jamais d’enfants!»
 
Longue éclipse
Les marcheuses et marcheurs de ce 4 juillet devront attendre plus de dix ans avant que l’une de leurs principales revendications soit satisfaite: l’égalisation de l’âge du consentement pour des rapport homosexuels, alors fixé à 20 ans, contre 16 pour les relations hétéro. Les contrôles de police dans les parcs et dans les bars ou le fichage disparaîtront aussi au cours de la décennie. Après trois éditions, le défilé homosexuel national se transforme en Goudou-manif, en mai 1982 à Genève, à l’initiative des collectifs lesbiens restés un peu dans l’ombre des groupes masculins. Après quelques défilés épisodiques (Lucerne 1983, Zurich 1989), les Pride ne prendront vraiment leur essor que douze ans plus tard à Zurich, puis à Genève en 1997, portées par la demande des unions civiles.

Le fameux masque arboré par les participant·e·s au début du défilé.

Sabotage municipal

Un mois avant la manifestation, le journaliste et activiste Pierre Biner raconte dans Tout va bien (alors l’hebdo phare de la gauche romande) le parcours du combattant imposé aux organisateurs de la marche. La Municipalité de Lausanne tente par tous les moyens d’empêcher la manif ou au moins de l’escamoter. Pour rejeter la date prévue initialement, celle du 27 juin, l’Exécutif invoque la collision avec d’autres événements, dont le défilé des écoles. L’administration inscrit «malencontreusement» la manifestation comme l’initiative d’une personne privée et non du Groupe homosexuel de Lausanne, obligeant ce dernier à accumuler les demandes, démarches et recours (payants)…

Pas question non plus pour la Ville de laisser les homos occuper les grandes avenues, soi-disant réservées aux manifestations avec chars et ensembles de musique. Qu’à cela ne tienne, l’Homomanif loue un camion et recrute une fanfare, celle… des Pâquis. La Muni refuse, qualifiant le véhicule de trompe-l’oeil et contestant l’existence de l’harmonie (pourtant bien réelle) genevoise. C’est donc finalement le «parcours himalayen» du Petit-Chêne, en zone piétonne, que la manif devra emprunter. «Lausanne donne l’impression de vouloir forcer les homosexuels suisses à défiler illégalement», écrit Pierre Biner, avant de conclure, à l’adresse des élus: «Vous voudriez saboter l’Homomanif 81 que vous ne vous y prendriez pas autrement.» L’affaire ira jusqu’au Conseil d’État, qui aurait balayé les demandes des homos avec un certain agacement.

Ce mélange de mépris, d’hypocrisie et de mauvaise foi des autorités sera épinglé dans le discours du président du GLH accueillant les manifestant·e·s, ce 4 juillet 1981. «On est en année électorale et une certaine tolérance au sujet d’une manifestation comme la nôtre épouvante les stratèges des partis politiques qui ont pignon sur rue. Ils ont peur de faire fuir leurs électeurs.»

Merci à Pierre Biner pour ses précieux documents.