Paz Errázuriz, au plus près des marges
La première rétrospective suisse de la passionnante photographe chilienne est à découvrir au MBAL du Locle. Un travail qui documente les communautés réprimées et invisibilisées, notamment les travestis et les trans.
Un parcours de vie extraordinaire que celui de Paz Errázuriz. Au moment de la dictature chilienne, cette institutrice a quitté son boulot pour s’emparer d’un appareil photo. En autodidacte, à 30 ans, elle s’est alors mise à parcourir son pays et à en documenter les marges, d’abord sous la répression du général Pinochet, puis lors du retour de la démocratie, dans les années 90. La photographe a ainsi révélé les précaires, les nomades, les fous, mais aussi les corps que l’on ne veut pas voir. Pour sa première rétrospective en Suisse, 175 de ses photographies sont à découvrir au Musée des beaux-arts Le Locle (MBAL) dans le cadre de la Triennale de l’art imprimé contemporain*.
La série la plus connue de Paz Errázuriz – et sans doute la plus poignante – s’appelle La Manzana de Adán (la pomme d’Adam). Elle suit un groupe de travestis travailleurs du sexe dans les années 1980. Les années du sida, qui aura emporté presque tous les protagonistes de ce travail au moment où il paraîtra sous forme de livre dans l’indifférence, voire l’hostilité générales.
Interrogation de soi
Ces séries, l’artiste aujourd’hui âgée de 80 ans, les pense comme le moyen de «comprendre» ses sujets. Et de se comprendre soi-même. «Depuis mon enfance, j’ai été en contact avec ces réalités, mais je ne les comprenais pas, explique-t-elle dans l’interview qu’elle donne au MBAL. Comment les aborder, comment y faire face? J’ai photographié ces sujets pour répondre à mes propres questions. L’appareil était mon ami pour cette quête.»
Après La Manzana de Adán, Paz Errázuriz continuera de s’interroger sur le sida, mais aussi sur les trans, au cœur d’un livre en 2019, fil rouge dans son travail. Avec une rigueur journalistique, mais aussi une fidélité aux gens. «Un sentiment m’habite en permanence, celui de ne jamais avoir fini un projet.»
* Également à découvrir dans le cadre de la Triennale de l’art imprimé contemporain: les travaux de la photographe Laurence Rasti avec les détenus des prisons neuchâteloises, et les expérimentations de Michael Günzburger sur les couleurs et les matériaux pour créer l’image