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Kubra Khademi ou le triomphe de l’amour pur

Kubra Khademi ou le triomphe de l’amour pur
Kubra Khademi, Bagage de route #01 (détail), 2020. Courtesy of the artist & Galerie Eric Mouchet. Private collection.

Kubra Khademi fait la une de notre magazine estival. Portrait de l’artiste afghane qui propose un art érotique, coloré et engagé, véritable ode à la sexualité féminine.

Artiste, performeuse afghane née en 1989 et aujourd’hui réfugiée en France, Kubra Khademi célèbre une puissance féminine libérée et rebelle, courageuse et triomphante qui s’oppose tant au patriarcat afghan qu’à la religion. Au lieu de cacher et de couvrir, Khademi révèle et dénude car, pour l’artiste, «la sexualité féminine est indéniable et ne peut-être niée». Elle n’hésite pas à renverser les codes religieux et les genres dans une provocation amusée et joueuse qui lui coûte insultes et menaces de la part de la communauté afghane.

Obscène au sens étymologique du terme, la scène mise en avant par Kubra Khademi renvoie à ce qui ne devrait pas être vu, à ce qui doit être caché et occulté. Dans sa peinture, elle expose des corps de femmes nues et libres qui nous font face en file indienne comme pour son affiche du festival d’Avignon 2022, qui avait déchaîné les passions en France – certain·e·x·s l’accusaient de pédopornographie – ou côte à côte dans une grammaire érotique à la fois contemporaine et classique, référence à la calligraphie et aux miniatures persanes. Son empire féminin est une fiction, à l’image du monde de la représentation afghane où les femmes ne figurent pas, invisibles et absentes.

Une révélation esthétique

Kubra Khademi dessine des corps de femme depuis l’âge de 5 ans, suite à une visite dans un hammam en compagnie de sa mère et à la découverte de la beauté des corps féminins, peau exposée loin des regards d’hommes. Libération des corps, mais aussi de la parole. Ici, les femmes afghanes parlent librement et sans tabou de sexualité, de masturbation et de leurs fantasmes. Fascinée par cette révélation esthétique, Kubra dessine des corps nus en cachette, croquis qu’elle dissimule sous un tapis. Ils seront trouvés par sa mère qui les déchirera et qui fouettera la jeune fille avec des fils électriques afin de la dissuader de continuer ces représentations «obscènes» qu’on ne saurait voir. Heureusement sans succès: la petite Kubra est déjà rebelle.

Kubra Khademi décide de poursuivre plus tard des études aux Beaux-Arts à l’Université de Kaboul, avant d’intégrer l’Université Beaconhouse à Lahore, au Pakistan. C’est là qu’elle commence à créer des performances publiques, une pratique qu’elle poursuit à son retour dans la capitale afghane. En 2015, pour sa performance Armor dans les rues de Kaboul, elle se construit une armure en métal qui est censée la protéger mais qui souligne et exagère aussi paradoxalement la forme des seins et des fesses, ceci afin de dénoncer le harcèlement de rue et les abus dont souffrent les femmes afghanes. Elle devra interrompre sa performance pour des raisons de sécurité après à peine huit minutes et devra ensuite se réfugier en France, fuyant une fatwa et des menaces de mort.

In the Realm, 2020. Courtesy of the artist & Galerie Eric Mouchet. Private collection

Célébrer l’énergie féminine

En France, Kubra Khademi reçoit le titre de Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres en 2016 et obtient la nationalité en 2020. Elle continue à dessiner ses amazones aux longs cheveux noirs, à la peau ocre, léger sourire flottant aux lèvres, qui se donnent du plaisir en solitaire ou à plusieurs, tantôt chiant sur la scène blanche ou combattant avec bravoure des créatures mythologiques. On les voit encore transportant des phallus géants pendouillant comme des trophées de chasse, organes vaincus qui incarnent un patriarcat déchu. Véritables guerrières, ses figures incarnent pour l’artiste une forme d’«amour pur». À l’image du hammam, l’espace de la sexualité féminine est considéré par Kubra Khademi comme «un safe space où il n’y pas de honte, à l’abri du patriarcat».

Pour Kubra Khademi, cette célébration de l’énergie féminine est «un privilège lié à la liberté d’expression dont elle jouit en France, une lutte contre la paralysie et le démantèlement dont font l’objet les femmes afghanes sous les Talibans». L’art comme devoir de résistance et la libération à travers la représentation de l’indéniable: cet amour pur que Kubra Khademi ne cesse de nous révéler.

Le travail de Kubra Khademi a été présenté dans de nombreux lieux, parmi lesquels la Mill6 Foundation (Hong Kong, 2023), la Kunsthalle de Dessau (2023), la Collection Lambert (Avignon, 2022), la Kadist Foundation (Paris, 2022), le Museum Pfalzgalerie de Kaiserslautern (2022), le Kunstmuseum de Wolfsburg, le Kunstmuseum de Thoune, la Void Contemporary Art Centre (Derry), la galerie Pablo’s Birthday (New York), le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, la Biennale de Bangkok, le Centre Wallonie-Bruxelles (Paris), El Rastro (Madrid), Signal (Bruxelles), l’Institut du Monde Arabe (Paris), le MuCEM (Marseille) ou encore la Fondation Fiminco (Romainnville).

Olivier Chow est le fondateur et directeur de FOREIGN AGENT, une galerie d’art basée à Lausanne, spécialisée dans l’art et le design contemporain africain et de la diaspora. Diplômé d’un doctorat en histoire de l’art sur l’esthétique de la cruauté de SOAS (School of Oriental and African Studies), Université de Londres, il a publié entre autres pour Tate Papers, Sotheby’s et la HEAD. Dans sa vie précédente, il a longtemps travaillé sur le terrain comme délégué pour le CICR, puis comme conseiller sur la torture à Genève. Il a passé un an en Afghanistan, sous les Talibans. Kubra Khademi est la première femme afghane à qui il ait parlé.