Dans La Mif, on parle avec ses tripes
Entre protection et limites à respecter, le Genevois Fred Baillif nous immerge dans une impressionnante fiction du réel, nous invitant à la réflexion et au questionnement sur le placement des jeunes en foyer.
Au cœur d’un foyer d’urgence, des adolescent·e·s issues de familles brisées tentent de recoller les morceaux pour en retrouver une. Dans cette structure habituée aux tensions, la relation entre une fille de 16 ans sexuellement majeure et un jeune garçon mineur de 14 ans met le feu aux poudres. Véritable déflagration, elle révèle un système rétrograde et sclérosé.
Nous plongeant d’entrée dans le bain avec une scène intense qui va se répéter tout au long du film, mais vue sous différents angles, Fred Baillif propose une impressionnante fiction du réel. Jamais dans le pathos ou le jugement, proche tout en gardant la bonne distance, il offre un brillant témoignage sur les structures d’accueil, une réflexion sur le métier d’éducateur. Son film est un questionnement sur le droit des ados à la sexualité, sur la limite entre la nécessité de les protéger et de les aider à avoir confiance en eux.
Le long métrage se construit en chapitres, avec des portraits forts, pudiques, émouvants des pensionnaires et du personnel d’encadrement. Les filles, toutes actrices non professionnelles, parlent avec leurs tripes. Elles livrent de formidables interprétations. À commencer par celle, bouleversante d’humanité, de Lora (Claudia Grob), la directrice du foyer. La vocation chevillée au corps, elle se retrouve pourtant dans le collimateur de l’administration, accusée de manquements graves à sa fonction.
La Mif a obtenu le prix du meilleur film de la catégorie «Generation 14plus» à la Berlinale de 2021, s’est baladé avec succès dans d’autres festivals, est nominé aux Quartz du cinéma suisse.
Une reconnaissance amplement méritée. Éducateur dans un foyer lorsqu’il était étudiant et plus tard en milieu carcéral, Baillif sait de quoi il parle.
Le réalisateur a trouvé son style
«J’ai fait énormément de recherches. Les affaires sexuelles taboues dans la société le sont encore davantage en institution. Ce que je raconte n’est pas la réalité mais pourrait l’être. Je pose également la question du ghetto qui me passionne. Les raisons pour lesquelles des jeunes se retrouvent en foyer ne se résument pas à la délinquance. On les place dans des lieux qui vont être stigmatisants».
Fred Baillif est par ailleurs très fier des filles qui ont participé au développement de leur rôle respectif qui, tient-il à préciser, «n’est pas leur vie bien qu’elles soient elles-mêmes issues de foyers. J’ai mené pendant deux ans des interviews très approfondies pour mieux les connaître, créé des ateliers d’improvisation, procédé à des jeux de rôles. Je leur ai appris à ne pas jouer la comédie. Il y a une maturité dans ma démarche consistant à marier le réel et la fiction. Je me suis remis en cause. Ce prix berlinois qui me rend heureux, m’a donné confiance dans le style que j’ai choisi et que je pense avoir véritablement trouvé.»
Sortie le 2 mars