Saint Dustan, salope et sorcière
À Fribourg, une exposition dévoile les vidéos tournées par l’écrivain et activiste gay disparu en 2005, tombé amoureux de la Suisse.
Guillaume Dustan entre au musée et ses romans reparaissent chez P.O.L. Pourtant l’œuvre, loin de s’embourgeoiser, garde sa force de frappe. À la fin de sa courte vie, Dustan (1965-2005) agaçait, récupéré par une télévision racoleuse. Ses positions en faveur du bareback, le sexe non protégé, horripilaient.
Celui qui était né William Baranès et s’était choisi pour nom de plume celui d’un saint anglais, «Dustan», était devenu un martyr médiatique. Seize ans plus tard, on prend enfin la mesure de son œuvre, une quête absolue de liberté. Une exposition à Fribourg permet de découvrir treize films tournés entre 2000 et 2004 (montrés pour la première fois à Paris, au centre Pompidou en 2019). Dustan se filme en train de vivre, de penser, de danser, de se branler, de jouir, le tout en musique, sur fond de Madonna, Britney Spears ou de The Supremes.
«L’homosexualité, le sexe, le clubbing, la techno, la drogue, le peuple, l’instant, le plaisir, même, je me fous de tout cela. Ce ne sont que des moyens pour arriver à l’illumination», écrivait-il dans Génie Divin, en 2001. Ces petits films ne sont pas apprêtés ni montés, ni «bien» cadrés, ils tirent leur force de leur frontalité: poétiques, drôles et politiques. Pour l’auteur «pédé», les homos représentent la pointe de la contre-culture et la sexualité gay profite à l’ensemble de la collectivité en libérant les corps. Il veut rendre aux individus leurs «pouvoirs magiques» grâce à la force d’émancipation, de créativité et d’amour des salopes et des sorcières.
Anus «révolutionnaire»
Alors l’écrivain vidéaste, également éditeur de la célèbre collection «Le Rayon» chez Balland, a fait de son anus un objet «révolutionnaire» − le mot est de son ami le philosophe trans* Paul B. Preciado. «Tout le monde a un anus et si peu en profitent», résumait Dustan en 1999, l’année où il venait à la gay Pride de Fribourg. À ce propos, 360° y était et racontait cette visite (un article à redécouvrir). C’est à la Pride de Fribourg que le Parisien est tombé amoureux de Tristan, «mon petit Suisse à moi», l’homme qui apparaît dans plusieurs vidéos tournées à Zurich. Ces images ont capturé l’air du temps, la Suisse du début des années 2000, un homme amoureux qui voulait vivre libre, même dans la mort.