La Dalle
Aux côtés de Virginie Despentes pour lire du Pasolini, dans la série Dix pour cent, sur Instagram en reine de la provoc’ ou à la radio pour défendre l’honneur bafoué de son amie Asia Argento, Béatrice Dalle est partout. Et personne ne s’en plaindra.
Figure emblématique de l’underground parisien, Béatrice Dalle est sur tous les fronts en 2018. Après une première lecture musicale des textes de Pier Paolo Pasolini avec son amie Virginie Despentes au festival Antigel à Genève en janvier, les deux complices ont rebranché les micros au théâtre du Pommier à Neuchâtel, puis à l’Octogone de Pully fin septembre, toujours toujours accompagnées par le groupe de rock Zëro.
Côté écran, son actu n’est pas moins excitante avec une apparition imminente très attendue dans la 3e saison de la série déjà culte «Dix pour cent». En toute logique, le buzz s’est construit autour de l’actrice pour le nouveau volet des aventures de l’agence parisienne dans la série produite par Dominique Besnehard, accessoirement agent historique de l’actrice qui avait repéré sa «gueule» dans la rue avant tout le monde dans les années 80.
Inscrite dans la pure lignée de ses illustres ancêtres Arletty ou Michel Simon au cinéma, Béatrice Dalle est bien une gueule dans le paysage du 7e art français. Physiquement c’est sûr, mais au niveau du tempérament surtout, elle est certainement la plus grande d’entre toutes. Sa langue, pas de bois mais bien de chair et de sang, elle préfère l’utiliser pour balancer ses quatre vérités toutes crues plutôt que la garder dans sa poche. Autant dire que son caractère bien trempé qui l’a hissée aux sommets quasi contre son gré, l’a aussi traînée dans des situations d’incompréhension totale, tant par les médias que par le public.
Les Bonnie & Clyde des pages people
En prenant des raccourcis, il semble évident qu’une femme qui a fait les 400 coups avec le «very bad boy» JoeyStarr jusqu’à incarner les Bonnie & Clyde des rubriques people avant d’épouser un détenu en prison rencontré sur un tournage, ne peut être que considérée comme une dangereuse cinglée. En tout cas pour les bien pensants et les magazines à sensation justement. Même si la réalité est beaucoup plus nuancée, l’image de Béatrice Dalle s’est construite autour de cette réputation sulfureuse d’indomptable femme fatale au sang bouillonnant.
Mais la vérité: Béatrice s’en fout. C’est en tout cas ce qu’elle répétait à longueur d’interviews en mâchant ses chewing-gums la bouche ouverte, le regard à peine dissimulé derrière ses Ray-Ban sous un soleil de plomb lors de son premier festival de Cannes: le cinéma l’emmerdait autant que la perspective d’une carrière d’actrice. Cette nonchalance toujours à la limite de la vulgarité a dérouté plus d’un journaliste… et excité plus d’un homme fantasmant sur les femmes comme les dessinent Milo Manara, le maitre de la BD érotique. Elle aurait pu n’être l’actrice que d’un seul film, son premier, «37°2 le matin», adaptation du roman de Philippe Djian réalisée par Jean-Jacques Beinex en 1986. Face à Jean-Hugues Anglade, Béatrice Dalle crevait l’écran et vampirisait tout sur son passage.
L’avant et l’après Dalle
Il y avait désormais un avant et un après Dalle. Selon de nombreux intellos cinéphiles, son interprétation – certes géniale – n’était pas le fruit d’un talent particulier puisqu’elle ne faisait qu’être elle-même dans le film. En gros, alors que l’Adjanimania battait son plein, Dalle avait débarqué sans crier gare pour représenter exactement son contraire. Ou sa sœur cinématographique maléfique. Si peu lui importait de faire une carrière au cinéma, Béatrice imposait son style dans les magazines et sur les T-shirts à son effigie portant pour seule inscription «La Dalle». Elle était moderne et sa mèche en banane noire relevée en chignon était à la mode. Une gueule, un look, une attitude: elle était tout cela à la fois. Mais là encore, Béatrice s’en foutait, mais alors totalement.
Pourtant, elle est devenue culte en tournant avec des monstres sacrés du cinéma indépendant américain comme Jim Jarmush et Abel Ferrara. Dans les colonnes de «Libération», elle avouait en 2004 ne jamais lire les scénarios et ne jamais connaître le casting d’un film avant de choisir: «La seule chose qui compte pour moi, c’est le metteur en scène qui me demande de le rejoindre. Je veux des fortes personnalités, c’est mon seul critère de choix.» Scandaleuse jusqu’au bout, elle prolonge la provocation sur Instagram, quitte à se faire lyncher. Et elle n’hésite pas à défendre sa copine Asia Argento quand elle se fait allumer pour atteinte à la pudeur sur un mineur. Récemment à la radio, elle déclarait qu’au Moyen-Âge, des filles comme elles auraient été brûlées vives comme des sorcières. Elle a certainement raison, mais dans un monde où les mentalités et les opinions se retranchent, elle est plus que jamais notre sorcière bien-aimée.