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Une histoire de l’hétérosexualité triomphante

Dans un ouvrage récent, Louis-Georges Tin révèle que d’autres chercheurs occultaient tant bien que mal: la culture hétérosexuelle n’a pas toujours été en odeur de sainteté.

Mais d’où vient cette manie chez les hétéros d’exalter l’amour entre hommes et femmes à tout bout de champ? Et de nous gaver de gondoles à Venise, d’hommes, de femmes, de chabadabadas? Et de croire que tout cela est bien naturel. Eh bien non, justement. Si les pratiques hétérosexuelles ont toujours existé, l’expression du sentiment amoureux hétérosexuel n’a pas toujours été valorisée. C’est ce que nous apprend L’invention de la culture hétérosexuelle, un ouvrage de Louis-Georges Tin, fondateur de la Journée mondiale contre l’homophobie et directeur du Dictionnaire de l’homophobie. Ses recherches démarrent au XIIe siècle, époque où commence à se développer cette tradition courtoise, plutôt mal accueillie par la culture dominante de l’époque. «Dans la société médiévale, virile et guerrière, les affections ne peuvent se développer que dans un cadre masculin», explique Louis-Georges Tin de sa voix suave, posée, reconnaissable entre toutes. «Qui voudrait s’enticher d’une femme, objet socialement méprisé?» Faut-il pour autant se mettre à voir des couples homos partout? Certes, non! Disons que ce culte de l’amitié était proche du sentiment amoureux sans en être un, une délicieuse ambiguïté en somme.

L’intérêt de l’ouvrage est plus particulièrement de montrer comment l’éthique chevaleresque, l’Eglise et la médecine ont opposé pendant des siècles une résistance acharnée à l’exaltation amoureuse. L’Eglise allant jusqu’à considérer l’hétérosexualité comme un vecteur de maladie, puis comme une maladie elle-même: «Elle a cherché à éviter la hantise du pêché de chair en citant les médecins pour qui l’amour est une maladie.» Il est alors intéressant de constater qu’aujourd’hui l’Eglise soutient mordicus une culture qu’elle a longtemps décriée. Et de nous faire croire que pratique hétérosexuelle et culture homosociale seraient antagonistes.

And the winner is…
À la fin du XIXe, les psychiatres inventent un mot pour désigner une pathologie psychique redoutable: l’hétérosexualité! «Néanmoins, la passion hétérosexuelle est parvenue à s’imposer pour des raisons qu’on ne peut expliquer mais dont on peut relever le paradoxe et l’inattendu.» S’imposer, on peut le dire! Au point de triompher et de bannir toute autre forme de culture amoureuse. «L’hétérosexualisation de certaines œuvres de Shakespeare, par exemple, est assez spectaculaire. Ses sonnets comportent 126 poèmes adressés à un jeune homme et 24 adressés à une femme. Et pourtant, on a déployé des trésors d’imagination pour cacher le caractère bisexuel du recueil. C’est une des œuvres les plus importantes du XVIe, mais on la cite très peu.» Faudrait-il au moins se réjouir de voir les femmes ainsi mises à l’honneur? «Surtout pas, rétorque Louis-Georges Tin. À la même époque co-existent l’amour courtois et la chasse aux sorcières. On leur dit qu’elles sont formidables à condition qu’elles se conforment à un idéal, sinon elles sont immondes. Quand on veut promouvoir la femme et non les femmes, c’est toujours suspect.» Aujourd’hui encore, l’immense majorité des sociétés étudiées ne fonctionnent pas autour de la célébration du couple hommes-femmes. «Mais tout est en contact avec la culture européenne», ajoute Louis-Georges Tin, «notre modèle s’est répandu dans le monde entier.»

L’auteur, qui s’attendait à une volée de bois vert de la part de certains chercheurs conservateurs, a été quelque peu surpris. «Le livre n’a reçu que des critiques positives. Je sais que certains sont choqués et qu’ils cherchent la faille. Mais jusqu’ici, aucune objection à l’ouvrage n’a été présentée.» La faille, c’est plutôt Louis-Georges Tin qui l’a trouvée, en ouvrant un champ dans l’histoire des sexualités: l’étude de l’hétérosexualité. Un sujet bien trop sérieux pour être laissé aux seuls hétérosexuels…

L’invention de l’hétérosexualité de Louis-Georges Tin, Editions Autrement