Activiste de l’espoir
Avec « Darling Days », l’artiste américain iO Tillett Wright publie, à 32 ans, des mémoires puissants, reflets d’une vie.
Artiste, activiste, l’Américain iO Tillett Wright n’a pas toujours été un garçon. Il ne se considère d’ailleurs pas tout à fait comme tel, croyant plutôt à la fluidité de genre. Cet artiste, activiste, animateur télé et auteur né fille en 1985 à New York vient de publier ses mémoires, à 32 ans. Dans «Darling Days», il raconte une vie déjà remplie d’avoir été ainsi entamée par une enfance et une adolescence où les moments de rêve et de grâce sont rares. Petite fille née de parents toxicomanes, vaguement artistes et qui peinent à survivre dans le Lower East Side décadent des années 80, iO est un peu une survivante dont les combats actuels, toujours portés par l’art, portent une urgence que porte cet imposant livre. Car iO Tillett Wright est notamment connu pour son projet intitulé «Self Evident Truths Project», lancé en 2010. Son objectif, en mettant sur le même plan toute la diversité physique de ses nombreux modèles, est de réunir 10’000 portraits d’Américains anonymes. Les identités se côtoyant toutes ainsi grâce à la photo, le souhait de iO Tillett Wright est de faire la nique à toutes les discriminations en montrant que la chair des hétéros, trans, homos est la même.
Aujourd’hui exposé mondialement, de New York à Tokyo, il collabore également au «T:» («The New York Times Style Magazine») pour la culture underground, et ses photos ont notamment été publiées par «GQ», «Elle» ou «The New York Magazine». Régulièrement, il est invité par des universités américaines pour parler de la perception des identités sexuelles.
Relation mère-fille
Au milieu des années 80, le Lower East Side n’est pas encore le repaire de bobos-bio qu’on connaît. Les squats y recueillent des artistes désargentés, des junkies, des punks (mais ce sont parfois les mêmes), on espère une carrière faite de création mais on y croit surtout au personnage qu’on se projette sur soi-même. Rhonna, showgirl, actrice et danseuse dont la carrière ne décolle pas vraiment, rencontre un homme dont elle tombe enceinte rapidement, victime d’une toxicomanie qui, déjà, lui pique un peu son libre-arbitre. Toutefois, il n’est pas question que l’enfant souffre. Ou qu’il soit un jour ravi par les services sociaux. Même si leur vie est dure et que la gloire est encore lointaine, ils se promettent mutuellement de veiller sur cet enfant. Et de lui permettre de vivre normalement, quand bien même ils viendraient un jour à se séparer. Et c’est ce qui arrive. Très vite.
Dans cet immeuble infect environné par la drogue, iO Tillett Wright commence une vie où les excès maternels rythment une existence jamais tranquille. Rhonna, que l’alcool et les médicaments rendent paranoïaque, puis psychotique, dort chaque nuit un pistolet caché sous son oreiller. Il faut dire que le quartier n’est pas très sûr. Et quand, pour une nuit, les sans-abris restent silencieux, c’est sa mère, dont les tréfonds de l’âme sont troublés par les psychotropes, qui se met à hurler à la mort.
Jeux de garçons
Si le livre, écrit avec un style cru souvent éclairé par les lumières de l’espoir, est une constellation d’images et d’instants qui se suivent sans chronologie, mais plutôt des souvenirs qui s’appellent l’un l’autre au fil de l’écriture, il est une ode à une relation mère-fille souvent contrariée mais jamais quittée par l’amour. De sa naissance jusqu’à ses 22 ans, iO Tillett Wright conjugue des tableaux forts, comme cette scène originelle où la petite fille qu’il est alors, à 6 ans, est confrontée à un groupe de petits garçons qui refusent de l’inclure à leurs jeux parce qu’il est encore une fille. L’épisode est marquant. iO décide alors de se faire appeler Ricky.
Une autre scène terrible de ce livre est la rupture entre son père et Julia, une jeune femme qui devient folle de rage à force de côtoyer la toxicomanie du père de iO, et cette vie dissolue toujours inquiétée par les coups d’éclat. Le plaquant contre le capot d’une voiture, elle rompt définitivement avec lui devant cet enfant qui comprend que ses parents ne sont pas comme tout le monde. Le rejet est fort. Puissant. Et remet en cause une vie déjà peu assurée. Heureusement, c’est par ses amis que iO va survivre. Et grâce au pouvoir rédempteur de l’art. La famille d’élection qu’il se forge, composée notamment de Nan, sa marraine, de Johnny, son meilleur ami portoricain ou de Frankie, un musicien amateur d’herbe qui emménage avec lui et sa mère, est salutaire. Frankie parvient à canaliser cette mère avec qui, pour iO, le dialogue devient impossible. Et reconstruit le pont qui fera qu’au bout de ce livre nécessaire, et qui montre que le genre n’est pas toujours une donnée solide et immuable, iO puisse prendre son envol.
» iO Tillett Wright «Darling Days» Ed. Seuil
J’avoue ne pas avoir lu cette autobiographie, donc je ne sais pas si vous avez simplement repris la terminologie que l’auteur utilise lui-même, mais « né fille » dit d’une personne transgenre par un magazine LGBTQIA+ m’a assez surpris.