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Pour la mémoire de Bartholomé

Pour la mémoire de Bartholomé

Conservé par les Archives d’État de Genève, le calvaire d’un jeune homme de 15 ans, condamné et mis à mort en 1566 pour l’abominable péché de sodomie, est le sujet d’un drame historique et politique passionnant de Jean-Claude Humbert.

Au lendemain de la Réforme, dans la seconde moitié du XVIe siècle, c’est Dieu Lui-même qui préside aux destinées de Genève. Autant dire que l’on ne badine pas avec la morale dans la cité de Calvin, deux ans après la mort de ce dernier: chasses aux sorcières et aux hérétiques se multiplient, aboutissant à autant de «procès ordinaires». L’un d’eux scelle le destin d’un dénommé Bartholomé Tecia, un étudiant piémontais âgé de 15 ans, torturé, puis mis à mort le 10 juin 1566. Le verdict, sans appel, indique qu’il s’est «abandonné à commettre l’horrible et détestable crime de sodomie», alors même que «le Seigneur […l’]a amené ici en Son Église pour y être instruit en Sa crainte.»

Machine judiciaire
C’est un peu par hasard que Jean-Claude Humbert a mis à jour ce récit presque oublié. «En marchant au bas de (ou déambulant au bas de) la Corraterie, avec un ami professeur, raconte-t-il, celui-ci me confia que chaque fois qu’il passait là, il pensait à ‘ce malheureux Bartholomé Tecia’.» Le récit pique sa curiosité. De fil en aiguille, il remonte jusqu’au dossier n° 1359 des Archives d’État de Genève, qui consigne le calvaire du jeune homme, livré à la justice inquisitoire, secrète et non contradictoire de l’époque.

Le destin de Bartholomé et des protagonistes de son procès, Jean-Claude Humbert l’a reconstitué patiemment, au fil de lectures historiques, mais aussi à partir du texte apparemment stérile du procès: «Entre les mots, à travers les lignes, j’ai cherché à reconstituer le climat – un climat d’horreur et de cruauté. C’est une machine judiciaire: tu te débats, mais tu sais que de toute façon, tu vas être broyé.» De fait, Bartholomé subit la torture – probablement l’estrapade, consistant à hisser le prévenu à une certaine hauteur, avant de le précipiter brusquement à terre. Ainsi, ses accusateurs réussissent à lui faire avouer, en plus de tentatives sur deux de ses camarades, l’abominable pratique de la sodomie, chez lui dans le Piémont. C’était, avait raconté le jeune homme, avec un avocat qui lui avait proposé des pommes. Dérisoire, cet aveu le condamne à mort.

Si l’Histoire a oublié Bartholomé, les protagonistes de son drame n’étaient pas tous des inconnus – à commencer par l’un des ses deux dénonciateurs, Agrippa d’Aubigné. Promis à un bel avenir en tant que poète et conseiller du roi de France Henri IV, Agrippa est encore âgé de 14 ans lorsqu’il dénonce son camarade, qui a tenté de le «bougrer» pendant son sommeil. Une déposition qui laisse beaucoup d’interrogations sur le rapport des deux garçons. «Ce fut probablement un épisode très difficile pour lui, estime Jean-Claude Humbert. Il faut savoir qu’en ce temps-là, lors de l’accusation pénale, l’accusateur devait être emprisonné avec l’accusé.»

Le silence du Réformateur
Autre surprise révélée par les archives, le logeur de Bartholomé n’est autre que le Réformateur Théodore de Bèze. Or, celui-ci est alors poursuivi par des rumeurs tenaces sur ses passions contre-nature, comme en témoignent des gravures où l’austère théologien est entouré de «mignons». Calomnies politiques? De fait, de Bèze s’était fait connaître par des poèmes de jeunesse que l’on dirait aujourd’hui «homoérotiques».

Dans sa pièce, Jean-Claude Humbert ne tranche pas sur l’homosexualité du Réformateur. Mais il s’interroge: de Bèze n’a-t-il pas eu le moindre regret de voir mettre à mort le jeune pensionnaire, ou au contraire a-t-il prêché la sévérité? Les archives restent muettes à ce sujet, mais Jean-Claude Humbert s’engouffre dans cette brèche pour imaginer le dilemme du théologien sous la forme d’un dialogue intérieur poignant. «S’il avait demandé pardon pour ses propres péchés de jeunesse, on ne le lui aurait probablement pas pardonné, sa mission aurait été impossible, estime Jean-Claude Humbert. Mais comment comprendre qu’un garçon de 15 ans domicilié chez lui ait pu être torturé, puis ligoté et noyé dans le Rhône sans qu’il intervienne…!»

Bouc émissaire
«Je n’aimerais pas faire de Bartholomé un martyr, prévient l’auteur. D’abord, il ne soutenait pas une cause, et il n’était certainement pas tout blanc, comme d’autres n’étaient pas tout noirs. Mon intime conviction est qu’il a été désigné comme bouc émissaire. Dans le contexte de la très forte tension qui existait entre protestants et catholiques, exacerbée par les guerres de religion, cette république calvinienne voulait vraiment montrer l’exemple. Il avait le profil idéal: un jeune homme étranger, qui ne pouvait guère se défendre.»
Reste l’hommage, nécessaire, que Jean-Claude Humbert conçoit pour tous les sacrifiés «pour l’exemple», que ce soit dans la Genève de 1566 ou ailleurs dans le monde de 2008. «Il y a un devoir de mémoire envers Bartholomé Tecia, conclut-il. Peut-être faudrait-il une plaque quelque part pour que l’on se souvienne du crime abominable… et que ce n’est pas Bartholomé qui l’a commis, mais les juges qui l’ont condamné. »

«Un procès ordinaire» entre 1566 et aujourd’hui

Prenant pour décor un coin de Vieille-Ville bien connu des Genevois, face au palais de Justice, Bartholomé Tecia, un procès ordinaire, la pièce, offre un aller-retour saisissant entre la ville libérale et prospère du XXIe siècle, et la tyrannie religieuse de 1566. Bartholomé y reste invisible, mais sur scène défilent ses juges et ses proches, le jour de sa mise à mort.

Parsemé de clins d’œil authentiques à l’humour et à l’esprit de dérision des Genevois, comme autant d’armes contre le fanatisme, le texte de Jean Claude Humbert est un savant et savoureux mélange de personnages réels et fictifs, de dialogues inventés et de minutes du procès, qui démontent avec talent quelques-uns des mécanismes de la barbarie d’État.

Bartholomé Tecia, un procès ordinaire, par la Troupe Les Salons. Mise en scène : Lucienne Babel et Yvan Muller. Théâtre Les Salons, Genève, du 3 au 20 avril 2008 (jeudi, vendredi et samedi 20h, di 17h.). Réservations : 022 807 06 33
Le texte de la pièce, prix de la Société genevoise des écrivains 2005, est paru aux Editions de Limargue.