A roulette et en roue libre
L’acteur et humoriste Yann Mercanton nous prépare «A tapette et à roulette», un one-man-show couillu et politiquement incorrect, donnant autant dans le Ralph König que dans un improbable Brokeback Mountain sur l’alpage. Impressions sur le vif lors des répétitions. A voir à Genève jusqu'au 30 septembre.
Fondateur de «l’Odieuse compagnie» avec à son actif des pièces remarquées, comme «1=3» ou «Petites fêlures», Yann Mercanton change de personnage comme de chemise. Athlétique et manifestement en pleine forme, vêtu sobrement de noir, il calibre ses mouvements au centimètre près dans un décor minimal. Pas d’accessoires excentriques dans un spectacle axé sur le jeu. Pas d’improvisation du côté du texte (sur lequel l’acteur travaille depuis juillet), ni de la musique. Le complice habituel de Yann Mercanton, Stéphane Blok, compose une partition fixe et ne sera pas présent sur scène.
Les personnages naissent sous nos yeux, ils sont encore en chantier, Mercanton les affine, les fait sien. Le scénario évoque une BD de Ralph König : François, hétéro et pompier de son état, a des potes gays. Il fait du footing avec le musculeux et viril Dominique, pacsé à Salvatore, coiffeur pour chiens. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Mais un jour, François reçoit une lettre d’amour… d’un homme. S’ensuit une découverte de la communauté gay, grâce à laquelle notre héros laissera tomber pas mal de clichés. Son identité sexuelle n’est pas remise en doute, mais il a envie d’aller à la rencontre de l’autre, de se confronter à lui. Il ressort grandi d’avoir dépassé sa peur. Mercanton commence la répétition par le sketch du sauna. Le malheureux François doit vérifier l’alarme incendie de l’établissement. «Il n’y a que des prises mâles, chez vous!» s’alarme le pompier désarçonné. Sorti du plateau, Yann revient aussitôt camper Fernand et Bernard, dont l’idylle rustico-bio-pittoresque est une parodie tordante du «Brokeback Mountain» d’Ang Lee qui fleure bon le terroir, version alpage suisse. Certes, Fernand aime «titiller le goujon» avec Bernard, mais «faut pas pousser», «les contingents laitiers l’empêchent de purger le petit lait». Yann mime un trot de cheval, un footing, une danse, puis exécute d’amples mouvements, dignes d’une fête de gymnastique. On entend un craquement. «Mince, j’ai déchiré mon stretch!», l’acteur rit, décontracté.
«Les pédés, c’est tendance»
La galerie de personnages s’élargit – copié-collé dont la cohérence échappe parfois – dans ce filage «à l’italienne». Mercanton aime surprendre, brosser à rebrousse poil, il ne recherche pas de logique imparable ni ne cache la façon dont ses sketchs sont nés : fruits d’improvisations retranscrites, de collusions d’idées. Après la romance paysanne, changement de voix, la mère de François fait son entrée. Pétasse de luxe, adepte de feng-shui et de design, c’est une sorte de cousine de l’Edina Monsoon d’AbFab. Pas de bol, ses deux chiens mâles, Virgule et Gribouille (substituts d’enfants qu’elle appelle « ses fils ») ne cessent de se monter dessus en public. Elle pense sérieusement «à les faire couper». Son fils François serait-il en train de virer sa cuti? Parfait, «Les pédés, c’est tendance».
Nouvelle métamorphose de Yann : Doris, l’institutrice à tendance droitière, tombe comme un cheveux dans la soupe, et critique le spectacle. Impression d’éparpillement, mais réel plaisir de spectateur. « J’ai peur des réactions des femmes, j’essaie d’échapper, là aussi, à la caricature » confie l’humoriste, « certaines femmes sont courageuses et font avancer les choses. J’aimerais leur rendre justice, mais je n’ai pas envie de plaire à tout le monde ». Quitte à fustiger les bourgeoises, donc.
Les textes seront encore élagués, le rythme travaillé, l’éclairage élaboré, mais à un mois de la première, l’énergie est là. Le ton aussi. L’acteur, qui reconnaît s’inspirer et admirer un François Silvant, pour ses «fresques» sociales, regrette que peu d’humoristes abordent l’homosexualité dans leur spectacle, autrement que pour casser du sucre sur le dos des gays. Ainsi le spectacle fait rire tout en questionnant les identités. C’est peut-être pour cette raison qu’en plus d’être porté par des institutions culturelles, il est soutenu par des associations LGBT – un lien entre culture et social auquel Mercanton tient beaucoup.
Un personnage console la femme de François, Catherine, momentanément délaissée : «Vous savez, le sexe, c’est un sport, un hobby. Il y en a qui joue à la raquette, à la roquette, à la roulette, ou à la tapette». L’exercice périlleux de faire la nique aux préjugés tout en les exploitant semble payant. Les similarités entre hétéros et homos troublent François. Dans un couple gay, comment ça fonctionne ? demande-t-il. Et son pote Dominique de répondre, de sa voix de basse : « Eh bien, y en a un qui fait l’homme… Et l’autre qui fait l’homme !»
«A tapette et à roulette» du 25 au 29 septembre (+ supplémentaire le 30 septembre) au Théâtre de l’Orangerie, Genève. Toutes les représentations: 20h. Réservation : 022 735 37 37