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De l’écriture au monde

Les histoires ont besoin d’un héros. Sébastien Meier, jeune auteur romand de polars, a accepté d’être le personnage principal de son propre récit.

La narration se construit autour de son voyage, de sa vie ordinaire à l’aventure du monde qui l’appelle, selon Joseph Campbell. Malgré lui. Il frôle la mort, sacrifie l’univers d’où il vient pour mieux y retourner, conscient de sa force combative, de la vérité qu’il participe à dévoiler. Sébastien Meier est un héros littéraire. Malgré lui. Et pourtant. De son milieu bourgeois «besogneux», il a hérité la valeur du travail, qui s’inscrit jusque dans le papier. Le livre ne l’effraie pas, ses parents imprimeurs le lui ont appris. Il est objet artisanal, bien loin du symbolisme honorifique et idéologique magnifiés par certains milieux académiques.

Enfant, Sébastien Meier n’écrit pas. Pas encore. Il dessine des voitures au fond de la classe du collège catholique de Champittet, à Pully (VD). Dessiner des garçons nus, ça ne se fait pas. Et ça renforce son sentiment de décalage avec ses camarades, avec le milieu de droite, de petits patrons, qui l’a vu naître. Un monde fait de «c’est comme ça». Le problème est qu’il déteste les faits et les vérités imposées, parce que les rapports aux autres y sont biaisés. La rébellion le saisit, coïncidant à 15 ans avec la verbalisation difficile de son homosexualité. Il en pleure la nuit, supplie le ciel de le changer, de le sauver. Dieu a choisi cette fois-là de ne pas l’écouter.

Mur de l’arrogance
Sébastien Meier commence alors à jouer avec les touches de son clavier et devient le héros de sa vie, s’éloignant en solitaire de son environnement. Pour survivre, il choisit le mur de l’arrogance qui le protège des branleurs élitistes, un personnage qui l’emmène honorablement au bac L et le libère de son moule. Jamais il ne retournera à l’école, il l’a décidé. Il partira en quête, et ne fera plus demi-tour. Il laissera le monde le traverser et lui prêter ses couleurs comme dirait l’un de ses héros à lui, Nicolas Bouvier.

Ce que Sébastien Meier ignore alors, c’est que l’écrivain voyageur genevois, lui, connaît déjà la suite de l’histoire: le monde «se retire, et vous place devant ce vide qu’on porte en soi ( ) qui, paradoxalement, est notre moteur le plus sûr.» Le vide est sans doute un trop plein parasité pour le jeune écrivain. Il ne se sent pas vraiment écrivain d’ailleurs. Il écrit naturellement mais se cherche dans d’autres sphères. De Vidy au Petit Théâtre en passant par une institution psychiatrique, il s’essaie à de nombreuses activités, comme pour toujours trouver le moyen de ne pas être écrivain.

«Écrire est difficile à accepter car j’ai l’impression que ça ne sert à rien, que ce qui va en ressortir c’est du divertissement. Il y a un côté vain. J’ai l’impression que je ferais mieux de travailler en gériatrie, ça ferait plus de sens. » Dans cet ailleurs, il rencontre des marginaux, des grandes gueules, des gens comme lui. «Écrivain, ce n’est pas un vrai métier», lui répète-t-on. Une constatation somme toute banale, mais qui le résigne à oser une semaine à l’université. «Il fallait bien que je fasse quelque chose – écrire ne pouvait être suffisant». Mais la passivité de l’exercice l’ennuie. Sébastien Meier est un homme d’action, d’expérimentation. Un homme de la terre.

Mouvement et inspirationn
Le livre, il a appris à le fabriquer à la source. Lancer les Editions Paulette en 2008 est donc aussi naturel que de sortir un crayon. Une histoire qui portera au grand jour une héroïne, Aude Seigne, dont «Les Chroniques de l’Occident nomade» reçoit le prix Nicolas Bouvier en 2011. Tiens, tiens. Le héros est rejoint dans son voyage par son guide, le maître voyageur lui-même. L’aventure emporte le jeune auteur en herbe dans une folie créatrice. Il fait tout, de l’impression à la promotion, s’épuise et s’effondre. Consumé jusqu’à l’os par ce «pays de bourgeois», il franchit le seuil qui le sépare du monde extraordinaire: l’Argentine. Délire romantique: sous une chaleur de plomb, où ses économies fondent trop vite, ses mots disparaissent pour laisser entrer un mal qui l’emmène au plus profond de l’abysse. «Je suis allé me faire bouffer par l’Amérique latine». Trois mois, à s’éloigner de tout, même de lui-même. L’éveil sera brutal. «Les rails du train n’étaient pas loin». L’éveil sera aussi lacanien. Grâce au psychanalyste français, Sébastien Meier fait le constat de l’endroit d’où il vient et entreprend «sa reconstruction». Le héros est transformé et approche sa réparation. Il devient écrivain. «L’avantage d’avoir déconstruit tout mon héritage, c’est que je me suis retrouvé nu, face à moi-même. Il n’y avait plus rien. Je n’avais plus rien à perdre. Il ne peut donc rien m’arriver de pire. Comme dirait Bob Dylan, When you’ve got nothing, you’ve got nothing to lose

Ainsi, émerge «Les Ombres du métis», récompensé, dans un processus créatif de liberté totale. Puis rapidement après, «Le Nom du père». Le héros est revenu et il a des choses à dire. L’écrivain dévoile ses vérités multiples à travers ses personnages : Bréguet, Rossetti, autant d’exemples de la réalité humaine qu’il explore, pour ne pas être cet auteur de plus qui « chante les louanges de l’hétéronormativité».

Être courant d’air
Il est devenu un combattant à la liberté assumée. Débarrassé de la peur d’être, il assume sa folie et défie les grands pontes et leurs institutions, de Payot au Salon du livre. Mais surtout, Sébastien Meier créé sur le fil. Il joue des codes avec ses lecteurs mais aussi avec lui-même, balancé entre une volonté d’exister commercialement comme auteur et un besoin de disparaître complètement comme individu. «Rien ne me fait plus plaisir que d’être entre deux trains de nuit avec mon sac à dos, tout seul. Foutre le camp – c’est l’état nomade de Bouvier, être courant d’air.»

Le vide comme moteur pour retrouver le mouvement de l’inspiration. Car la promotion peut avoir cet effet pervers qui fait perdre la tête, qui gonfle son sujet d’autosatisfaction. «C’est si vite fait de devenir un gros con.» La danse le sauve toujours. Le flamenco, qu’il a découvert en Argentine, redéfinit son rapport au corps – le corps qui nourrit son écriture par sa présence ou son absence. Il n’est pas en déliquescence quand il oublie de manger, de se raser ou de se laver, il l’informe de la vérité de ses mots. Quand ces derniers résonnent, il va bien. Quand, au contraire, ils grincent, son bras, sa main ou encore son dos lui rappellent sa dérive du juste.

«Trump comme symbole de l’hétéropatriarcat, j’ai envie de croire que c’est un peu le chant du cygne, ou Papy fait de la résistance»

Sébastien Meier écrit des polars par hasard, mais il écrit aussi des polars comme pour redessiner un avenir. Combattre le désenchantement, la désillusion du monde poussé à son paroxysme dans l’élection de Trump. Créer pour qu’on ait encore envie d’aller de l’avant, rester enthousiaste, continuer à se dire que ça va être merveilleux sans sombrer dans un optimisme niais, là réside l’essence de ses croyances. «Trump comme symbole de l’hétéropatriarcat, j’ai envie de croire que c’est un peu le chant du cygne, ou Papy fait de la résistance. La technologie est passée par là. Je crois que nous allons en réalité vers un monde ouvert, plus égalitaire, où on partage mieux les choses et où on cesse d’être dans cette logique de l’ego surdimensionné. Il n’y a plus rien à conquérir, la conquête de l’Ouest, c’est fini. Il est peut-être temps de passer à autre chose.» Sébastien Meier est le héros du monde qu’il nous raconte. Demain, il repartira, loin. Pour mieux revenir. Ses histoires sont essentielles, car ce sont aussi les nôtres.

» Sébastien Meier a publié «Les Ombres du métis» et «Le Nom du père» aux Éditions Zoé.