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«Chacun s’arrange avec le monde»

Philippe Saire est danseur, chorégraphe, créateur du centre de danse contemporaine Sévelin 36 à Lausanne. Portrait d'un homme incernable.

Lorsqu’on écrit un portrait, il est tentant d’enfermer le sujet dans une idée, de réduire sa personnalité, ses ambitions et sa vie à un slogan. Impossible de procéder de la sorte avec Philippe Saire, 58 ans, l’une des stars, si ce n’est la star de la danse contemporaine romande, tant le personnage est complexe et son parcours étonnant. Difficile aussi parce que le chorégraphe est pudique. Que notre entretien se déroule sur Skype – une première pour lui – accroît sans doute encore un peu sa retenue, lui qui a fait du réel, du corps et de ses mouvements, l’objet de son art; mais cela va plus loin, s’ancre dans son caractère: «J’aime que les rapports se mettent en place tranquillement, sinon j’ai l’impression d’une intrusion.»

Il refuse de trop entrer dans les détails, dans l’intime. Par exemple, il rechigne à parler de son homosexualité, même s’il la vit ouvertement: «Je ne demande pas aux autres comment ils baisent, je ne vois pas pourquoi j’en parlerais.» Il ne l’a d’ailleurs jamais avoué à ses parents, morts jeunes. Et dans le fond, pourquoi en parler, «c’est banal»: «Dans l’un de mes spectacles il était question de la rupture de deux hommes… Aucune différence avec un couple hétéro qui se sépare. C’est un peu le divorce pour tous.» C’est par son travail qu’il se livre, par son art qu’il dévoile sa subjectivité, son intimité au public. «Lorsque je crée un spectacle, je ne pars pas d’un simple intérêt intellectuel pour un thème. Il faut qu’il s’attache à moi, que je le ramène à quelque chose de personnel.» Alors, le réduire à sa retenue, sa pudeur touchante, c’est impossible: «Je raconte toujours et encore la même histoire, la mienne.»

Réussir sans ambition
Son parcours est atypique: «Je n’ai jamais eu de plan de carrière.» Il est né et a vécu en Algérie jusqu’à cinq ans, avec ses parents français, «des petites gens acratopèges». La famille immigre en Suisse en 1962, au moment de la libération. Bon élève, il étudie à l’école normale et devient instituteur. Peu à peu, ce sportif féru de volleyball découvre les arts, le théâtre, tout ça «par hasard». À la vingtaine, il se passionne pour la danse. Il monte un premier spectacle, «parce qu’il n’y avait plus de projet en cours», devient chorégraphe, toujours sans ambition précise: «Lorsqu’on est danseur et qu’on suit les directions du chorégraphe, on se dit, «j’aurais plutôt fait ça comme ça», et puis au bout d’un moment, on se décide à le faire.» Sa vie se déroule ainsi, par à-coup, au gré d’envies, de lassitude, de rencontres, avec cette espèce de disponibilité au présent… Une constance peut-être: son énergie, son côté entreprenant et travailleur. Lui même n’aime pas les étiquettes: «J’ai mis longtemps à accepter le terme compagnie ou chorégraphe, c’est venu comme ça. J’ai aussi de la peine à me dire artiste… Je fais de la danse comme d’autres font du pain. »

Réinventer son art
Difficile à décrire aussi parce qu’il se refuse à se répéter, recherchant toujours de nouvelles formes pour son art. Entre chaque création, une profonde remise en question. «Ma manière de travailler a changé. Avant je voulais tout maitriser. A présent je travaille beaucoup en collaboration avec les danseurs. Tu ne peux pas imaginer être plus créatif que tout un pool de gens.» Dans ses créations, il s’oriente à présent vers une dimension plus picturale, jouant sur le dispositif, les lumières, la place de la scène et des spectateurs.

Dans l’un de ces derniers spectacles, Black out, actuellement en tournée, le public est en surplomb: au-dessous, les danseurs dessinent par leurs mouvements un tableau changeant avec du gravier noir, sur un plateau blanc. Peinture dansante. Cette permanente remise en question sur lui, sa création et sur le monde, c’est ce qu’il cherchait à instiller à ses élèves, lorsqu’il était instituteur. «On devrait former des individus critiques, ne pas formater les esprits.» Il y a cette phrase, qui revient souvent dans sa bouche: «L’individu n’est pas là pour servir l’économie!» Pourquoi est-on là, alors? «Pour réfléchir à ce que l’on vit et voir si l’on est consciemment d’accord avec ça.» Si Philippe Saire ne se laisse pas aisément cerner, c’est parce qu’il cherche comme tout un chacun «à s’arranger avec le monde» et qu’il avance ainsi, sans destination précise. Il aime cette phrase de Duras: «Si je sais où aller, pourquoi y aller?»

Pour sortir

Et pour boire un verre ou dîner, Les Alliées à Lausanne: «Je connais le patron, il a su transformer un endroit traditionnel en quelque chose de vraiment sympa».
Philippe Saire aime se rendre au théâtre de Vidy, à Lausanne, dirigé par Vincent Baudriller : «Souvent, ce sont des spectacles qui correspondent à mes goûts, des choses que j’irais voir à l’étranger, et lui les amène ici.»
Il ne rate aucune exposition du MUDAC (Musée de design et d’arts appliqués contemporains), toujours à Lausanne. Tout d’abord parce que la directrice, Chantal Prod’Hom, est une amie, sa première partenaire de danse. Egalement parce que Philippe Saire aime les objets, les beaux objets : «C’est important de vivre dans de belles choses, pas dans de l’Ikea.»

» www.philippesaire.ch