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Le1f, l’esprit et le corps du hip-hop

Rappeur, producteur, danseur, le jeune New Yorkais fait voltiger sa voix profonde à la croisée des cultures queer et black. Il prépare un premier album, «Riot Boi».

Le1f, c’est d’abord un nom. Un assemblage de lettres et de décimales, un hiéroglyphe horsnorme, sans prononciation définie («Vous pouvez lire  Le1f› comme bon vous semble», aime dire le jeune rappeur). Ambiguïté brandie, freak de rigueur. Se tenir dans l’embrasure. Habiter l’intersection. Celle de l’alphabet et du (dé)chiffrage, de la musique et de la politique, des communautés black et queer. «Ask a gay question / Here is a black answer», scande l’Américain de 26 ans sur l’un des titres de son excellent EP «Hey». Jeu de mots et tissages de beats. «Je suis un rappeur gay. Je suis un rappeur noir. Je suis un rappeur new-yorkais. C’est une bonne chose que les médias prêtent enfin attention aux musiciens de la communauté queer. Mais il faut qu’une chose soit claire: Gay Rap n’est pas un genre en soi», met au point Le1f dans un texte publié par Interview Magazine. «Le style de ma musique n’est pas défini par qui je suis, mais par ce que je fais. Certains de mes titres parlent d’homosexualité. Presque tous mes morceaux sont rappés.»

Un flow à la fois agile et grave, suave, chaud et rocailleux, légèrement éraillé par l’inhalation de fumées diverses. Le1f, c’est aussi une voix, dont la profondeur singulière surprend, «un Busta Rhymes d’avant-garde», pour le dire comme la journaliste Britt Julious. Surgi à l’orée de 2010, alors que le hip hop et l’électro entamaient la lune de miel qui fait bourdonner les charts d’aujourd’hui, Le1f avait auparavant œuvré comme producteur et bricoleur de boîtes à rythme, notamment pour Das Racist. Dans «Wut», le clip qui l’envoie sur l’orbite de la hype quelque deux ans plus tard, Le1f porte un minishort peroxydé, et se pavane sur les genoux d’un jeune mec blanc et musclé – critique des normes de beauté et stéréotypes à l’œuvre dans la communauté gay. Détail: le jeune mec blanc est parfaitement immobile et dissimulé derrière un masque de Pikachu. La discrimination n’a pas de visage.

Grammaire du corps
Le1f, lui, expose une sensualité fluo et terroriste. Cette façon de réinvestir et renégocier les étiquettes qui lui collent à la peau (le black comme objet sexuel, comme emblème d’une masculinité animale) le rapprochent d’autres artistes issus à la fois du queer et du rap, Mykki Blanco, Azealia Banks dans une certaine mesure. Fasciné par la plasticité et la grammaire du corps comme objet et comme moyen d’expression, Le1f fréquente une école de ballet au crépuscule de l’adolescence. Mais le formatage des gestes et des présences l’étouffent. Le1f ne veut pas se conformer ; il veut projeter de nouvelles formes. Ses héroïnes se nomment MIA et Grace Jones, figures de style et de revendication. «Il y a des stars et des artistes qui parviennent à rendre un look attirant», dit-il dans un entretien pour Vice. «Pas un look en termes de mode, vraiment une structure du visage, une couleur de peau, une race, une combinaison de gènes. Ils en imposent la beauté. Grace Jones a fait ça.»

Le1f a des idéaux. C’est sa force. Il balance des rythmiques qui tabassent sous des mots qui font mouche. «Je veux faire la musique que j’ai envie d’écouter, poursuit-il. Je veux faire des chansons comme Beyoncé ou Rich Homie Quan. Je veux juste qu’elles parlent d’autres problématiques.» «Riot Boi», son premier album, est un disque «pro-trans, pro-clean water, Black lives matter», scande-t-il en anglais. L’un des titres, «Umami», raconte le parcours d’une de ses amies intersexe, à qui le genre masculin a été assigné à la naissance, et comment elle a su se réapproprier son physique pour pouvoir (s’)aimer de nouveau. Le1f célèbre la diversité des corps avec un esprit puissant.

«Riot Boi» paraîtra cet automne, chez XL Recordings