Fans de «Brokeback Mountain», fichez la paix à Annie Proulx!
La romancière est poursuivie par des spectateurs inconsolables du film d'Ang Lee. Au point qu'elle dit regretter d'avoir écrit la nouvelle dont le long-métrage a été tiré.
Avertissement: comme l’a judicieusement noté Yagg, l’interview de «The Paris Review» dont il est question ci-dessous remonte à 2009. Elle a recommencé à faire le buzz au détour d’un tweet promotionnel de cette revue. 360° s’est donc fait piéger, comme bien d’autres médias anglosaxons et francophones. Les citations d’Annie Proulx restant authentiques et savoureuses, nous avons toutefois décidé de conserver cet article dans nos archives…
—
«Avant le film tout allait bien. Depuis, ç’a été la cause de tracas, de problèmes et d’irritation incessants.» La célèbre romancière américaine Annie Proulx a confié que le succès de «Brokeback Mountain», le long-métrage oscarisé d’Ang Lee (2005) adapté de sa nouvelle éponyme (1997), commençait à lui taper sérieusement sur les nerfs. «J’aurais préféré ne jamais l’avoir écrit», a-t-elle lâché dans une interview à «The Paris Review».
«Cette histoire m’a pris six semaines de boulot acharné, ce qui n’est pas mon rythme habituel. Eh oui, [Ennis et Jack] feront leur vie chacun de leur côté. Le problème, c’est qu’ils font leur vie dans la tête de beaucoup trop de monde, a soupiré la romancière. De fait, l’histoire d’amour tragique des deux cow-boys du Wyoming lui a valu des montagnes de courrier. D’abord des habitants de cet Etat conservateur, outrés. «Mais de toute façon, ils ne liront pas le livre là-bas», s’amuse l’auteure.
Fantasmes puissants
En revanche, elle a été stupéfaite de la quantité de messages envoyés par des fans gay inconsolables. «Je trouve que c’est important de laisser des espaces dans une histoire, que les lecteurs peuvent remplir avec leur propre expérience, mais hélas le public que «Brokeback» a touché le plus fortement a des fantasmes puissants. Beaucoup d’hommes ont décidé que l’histoire devait avoir une fin heureuse. Ils ne peuvent supporter la façon dont ça se termine. Alors ils réécrivent l’histoire avec tous les copains, nouveaux amants, etc. après que Jack est tué. Ça me rend dingue. Ils ne peuvent pas comprendre que ce récit n’est pas sur Jack et Ennis. C’est sur l’homophobie, sur une situation sociale, sur un endroit, sur une moralité et une mentalité particulières.»
Elle a raison, ce film est à contre temps de son époque. Dans les années 80 et 90, un film gay qui se termine par un suicide, c’était parfait. Aujourd’hui, la mode du film gay est plutôt au film à l’eau de rose ou au moins à des films positifs. Dans le secret de Brokeback Moutain, l’homophobie est dénoncée au second degré. Comme beaucoup de gens homophobes ou gays, je me suis moi aussi contenté du premier. L’homophobie était trop présente, trop réelle en 2005 et le mariage lointain. Il m’a fallu visionner aujourd’hui le court métrage « Ce n’est pas un film de cow boys » pour poser un nouveau regard dessus. Un court-métrage qui me parait plutôt en avance sur son temps car, à la manière d’aujourd’hui, il parle déjà du collège. Quand les homos s’éveilleront !