«T’as pas l’air gay»
A 34 ans, le réalisateur argentin Marco Berger a déjà deux long-métrages à son actif, «Plan B» et «Ausente». Il sera samedi à Genève l'invité d'Everybody's Perfect. Interview.
– Vous avez réalisez «Plan B» et «Ausente», qui vous a valu le Teddy Award à Berlin en 2011. Comment décrivez-vous votre style de cinéma?
– J’essaye de faire des films très humains. Je veux amener le spectateur au plus près de mes personnages, qu’il entre dans leur sphère intime et qu’il ait l’impression d’être le seul témoin des scènes auxquelles il assiste. On me catalogue souvent comme un réalisateur de «cinéma gay». Parce que c’est une thématique qui revient dans mes films. Mais je raconte avant tout des histoires. L’homosexualité y est présente, certes, mais je ne la sens pas non plus comme quelque chose de primordial. Dans «Plan B», par exemple, je raconte comment deux personnes tombent amoureuses. Alors c’est deux mecs, oui. Mais le film est avant tout une comédie romantique. Quant à «Ausente», c’est un thriller. Et je n’aurais pas pu développer mon scénario si je ne parlais pas de deux hommes. Car un professeur n’aurait jamais pu proposer d’héberger une de ses élèves adolescente chez lui pour la nuit. Or c’est le point de départ de cette histoire.
– Mais vous affirmez que tourner des films avec des personnages principaux homosexuels reste un acte militant?
– C’est un acte politique, oui. Quand on fait du cinéma, on pose son propre regard sur quelque chose. Et on le montre. Lorsque l’ont fait un film sur un sujet de société, on exprime son point de vue sur le débat. On adopte donc une position politique. Mais il ne faut pas particulièrement se battre aujourd’hui pour pouvoir faire des films en Argentine avec des personnages principaux homosexuels. Les mentalités ont beaucoup changé ces dernières années. Rendez-vous compte que pendant que je tournais «Plan B», en 2009, le Congrès commençait à débattre la loi sur le mariage égalitaire. Alors bien sûr, cela reste quelque chose de nouveau dans le cinéma argentin. Ça attire toujours l’attention. Mais la société, dans son ensemble, a beaucoup évolué.
– En Europe, on continue à voir l’Argentine, et l’Amérique du sud en général, comme une terre très conservatrice, dominée par le catholicisme et le machisme, alors que Buenos Aires a adopté des lois très progressistes par rapport aux droits des homosexuels. Cela se ressent-il dans la vie de tous les jours?
– Le changement est très clair. L’Etat autorise le mariage des personnes du même sexe, et que les couples homosexuels adoptent des enfants. C’est un message très fort qui est envoyé depuis les institutions. C’est très positif pour toute la société. On le ressent. Dans les conversations quotidiennes notamment. Il y a clairement beaucoup moins d’homophobie latente. Mais tout ne devient pas facile non plus du jour au lendemain parce que l’Etat l’a décrété. Cela reste très dur pour beaucoup de personnes d’accepter leur homosexualité; et encore plus d’en parler à leurs familles. A Buenos Aires même, mais encore plus dans l’intérieur du pays, où la société reste plus conservatrice.
– Dans «Plan B», les personnages principaux sont définis comme des jeunes argentins moyens, pas rasés, les cheveux un peu longs, portant presque tout le temps des maillots d’équipes de football. Ils sont à l’opposé des clichés sur les homosexuels. C’est voulu?
– Oui, évidemment. «Plan B» raconte l’histoire de deux jeunes hommes qui tombent amoureux l’un de l’autre. Mais ce sont avant tout deux «mecs du quartier». Aucun d’eux n’a vraiment conscience qu’il est homosexuel. Ils s’en rendent compte peu à peu. Mais au-delà du processus de découverte que raconte le film, je voulais aussi montrer qu’il y a beaucoup de gays qui ont un look «normal». Et que oui, ils portent des maillots de foot au quotidien, et se sentent bien comme ça. Ils sont simplement comme ça. La société reste bloquée sur une image du gay hyper soigné et sophistiqué, artiste, extraverti et foireur. Mais il faut sortir de là. J’entends souvent dire: «mais t’as pas du tout l’air gay!» Qu’est-ce que ça veut «avoir l’air gay»? L’homosexualité reste une pure question de sexualité. Pas de look, ni de personnalité.
– Vous travaillez actuellement sur un nouveau film?
– Je suis sur deux projets en même temps. Je cherche des financements pour l’un d’eux, et l’autre, «Mariposa», est à bout touchant. J’espère qu’on pourra tourner à la fin de l’année ou au début 2013. Mais je préfère ne pas trop parler du sujet.
Rencontre avec Marco Berger en marge de la projection de «Plan B», samedi 22 septembre, 18h30 (projeté également le dimanche 30 septembre à 20h). «Ausente», le même soir à 20h30 (projeté également le jeudi 27 septembre à 15h). www.everybodysperfect.ch