L’inquiétant costume d’Halloween du Performative Male

Quand le Performative Male débarque à une soirée queer d’Halloween, le patriarcat conscient enfile ses plus jolies perles et monte sur le dancefloor, Mona Chollet serré contre lui. À mi-chemin entre sketch féministe et malaise collectif, la performance vire vite au film d’horreur social.
C’est un dimanche gueule de bois. Le jour où tu veux juste soupirer dans ton lit en scrollant TikTok. Mais j’ai une fête d’Halloween queer ce soir-là. Et là, révélation divine… ou plutôt algorithmique: Performative Male. Je me dis: vas-y j’ai la flemme, y’en aura d’autres aussi, on va bonder sur le dancefloor entre connards sensibles et féministes de façade. Du pur génie.
Moodboard du Performative Male
Je construis la DA du Performative Male lausannois: ce mec qui traîne sous-gare, boit son matcha au lait d’avoine chez Fripsquare, pas pour le goût, mais parce qu’iels font friperie aussi, donc pratique pour zieuter les arrivages. Je pioche un tote bag bleu, un faux Labubu poilu, des bijoux à perles, un exemplaire de Réinventer l’Amour et même les cheveux sont d’emprunts — parce que qui a déjà vu un Performative Male avec la boule à zéro? Zo me fait les ongles bleus avec des petits smileys blancs. —« Tu veux pas que j’écrive Performative Male dessus? » — Non c’est bon Zo… tout le monde aura la réf.
Le monstre d’Halloween que j’ai créé
Sur le quai, j’attends Gigi, alias Office Siren pour ce soir. Elle passe devant moi sans me calculer. Classique Gigi. Une fois réuni·e·x·s, on se sauce de notre génie mutuelle: “Talented. Brilliant. Incredible. Amazing. Show stopping. Totally unique…” Bref on est au max.
Dans la file: monstres, faux sang, drag ghouls, lentilles blanches. La DA là c’est: Dark/Gore. La personne devant moi porte juste un serre-tête à cornes et reçoit un cadeau “réservé aux déguisé·e·x·s”. Moi, rien. Je comprends. Mon costume est peut-être trop crédible. On rigole, c’est vrai que j’ai l’air d’un mec venu animer une table ronde sur “Comment dire à ma copine que je veux son doigt dans mon cul”.

Descente aux enfers sociales
Je croise des têtes connues. Personne ne me reconnaît. Et là, le pire scénario: je tombe nez à nez avec une personne avec laquelle j’ai bossé. Je la reconnais, trop tard pour esquiver. Je tente un —« Hey, salut, tu me reconnais? »— Et là — le regard. Je vois son cerveau paniquer, scroller sa Pokédex interne, essayer de m’identifier entre “gars qui vole ses tupps” et “mec qui t’avertie “je veux pas te mansplainer mais…”.
Je tente: « C’est Dany, de— ». Un sourire de politesse. « Ah oui mais oui comment tu vas? ». Iel a pas compris mon costume, ou même si s’en est un. Gênant. Cette scène dure trente secondes mais j’ai l’impression d’y passer mon service de protection civile. Judith Butler vient de s’évanouir quelque part.
Le film d’horreur queer
Je retrouve Gigi, dépitée à une table. Elle non plus ne bonde avec personne: difficile d’attirer les regards d’un·e·x queeros des ténèbres quand ton +1 a la tête du patriarcat conscient. On refait la théorie: le Performative Male, c’est ce mec cis-hétéro qui emprunte nos codes pour pécho des meufs woke. Et moi, mec cis queer, déguisé en mec cis hétéro… C’est la mise en abyme de trop. Judith s’est pas juste évanoui·e·x, iel a quitté la salle.
Le moment de grâce (ou presque)
On a vraiment besoin d’un autre verre. Dans la fil, une personne déguisée, ensanglantée, me tapote l’épaule: « Est-ce que tu es déguisé? » mais yes queen « Oui. » — « Est-ce que tu es déguisé en Performative Male? »
Mais enfin une personne qui scroll TikTok: « touché! » — « Ah. Ça me cringe très, très fort. »
Je sors mon Mona Chollet du tote bag comme un prêtre brandissant une croix. Autour, les gens captent, rient, soulagé·e·x·s de la vanne. Quelqu’un dit: « T’es le costume le plus inquiétant de la soirée. On votera pour toi. »— Sauf que je ne me suis pas inscrit au concours.
Trop tard. L’histoire de ma vie: un génie incompris qui manque toujours son moment de gloire.
Moi j’aurais voté pour Gigi
C’est pas parce que c’est ma pote que j’aurais voté pour elle — c’est juste que son costume de Office Siren était aussi profond que le mien. (Connard prétentieux, bonjour. À lire aussi: Comment je suis devenu un Performative Male en 3 étapes.) Je veux pas te mansplainer son concept mais… si quand même, je l’ai appris par coeur: « C’était une sirène qui, pleine d’ambition, a quitté la mer pour nager dans les eaux froides du monde capitaliste.

Elle portait la cravate dans l’espoir de revendiquer sa place et sa compétence. Mais dans ces eaux troubles, la cravate ne suffit pas. Alors, acculée, elle endosse son maquillage comme une armure, le masque qu’impose un monde qui valorise la beauté avant la voix. Elle performe la perfection, séduit pour être écoutée, et sillonne les courants d’une réalité patriarcale.
Monstre du corporate, l’Office siren est un être de contradiction, le résultat d’un système qui la veut invisible. Et ce qui était vraiment scary dans ce déguisement, c’est que c’est juste… la réalité pour certaines femmes qui veulent faire carrière dans des milieux dominés par des hommes. »
Je dis ça, je dis rien… mais si tu veux me faire un retour, on peut toujours aller se boire un matcha un de ces quatre. En tout cas, sache que mes DM sont ouverts. 🙂
