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Suis-je hypersensible ou juste queer?

Suis-je hypersensible ou juste queer?
©Taylor (licence unsplash)

Et si l’hypersensibilité faisait partie de l’expérience de vie queer? Dans un monde qui demande de se blinder, beaucoup d’entre nous vivent à fleur de peau — entre lucidité, fragilité et puissance émotionnelle.

Certains jours, j’ai l’impression de tout ressentir, tout le temps.
La joie m’arrache presque des larmes, la moindre tension me vrille l’estomac.
Alors je me demande: suis-je hypersensible, queer, ou juste épuisé par un monde trop bruyant?

Quand on grandit queer, on apprend tôt à lire les émotions dans les yeux des autres.
Avant même de comprendre qui on est, on comprend ce qu’on dérange.
On sent le malaise avant qu’il ne se dise, le jugement avant qu’il ne se formule.
C’est une forme d’hyperempathie apprise, pas tant un don qu’un réflexe de survie.

Et si être hypersensible, c’était aussi ça: une façon queer de percevoir le monde, de tout absorber, d’aimer trop fort, de réagir trop vite, de pleurer pour rien mais jamais pour rien?

Une hypersensibilité apprise

Beaucoup d’entre nous ont développé cette hypersensibilité par nécessité.
Quand ton existence a souvent été mise en question, tu deviens attentif·ve·x à tout.
Un ton de voix, un silence, une micro-expression suffisent à dire si tu es en sécurité.
Ce n’est pas du drame, c’est de la survigilance émotionnelle.

Mais cette adaptation, née du danger, devient parfois un superpouvoir.
Elle nous rend plus attentif·ve·x à la beauté, à la nuance, aux émotions des autres.
Elle nous relie. Et dans ce monde qui confond force et froideur, cette porosité émotionnelle est presque subversive.

Des icônes trop sensibles pour le monde

Il y a quelque chose de profondément queer dans l’idée de ressentir trop.
Dans cette capacité à transformer le trop-plein en création.
SOPHIE, par exemple, a façonné des sons qui explosaient d’émotion brute — des textures saturées, entre douleur et euphorie.
David Wojnarowicz a fait de sa rage et de sa tristesse des œuvres d’une tendresse insupportable.
Et Ocean Vuong écrit comme on pleure: lentement, avec grâce, sans jamais s’excuser.

Ils disent: je ressens, donc je suis vivant·e·x.

Dans la culture queer, la sensibilité n’est pas une faiblesse: c’est une esthétique.
Elle devient performance, poème, manifeste.
Nos excès émotionnels sont politiques: ils refusent la neutralité, le silence, le cynisme.
Ils disent: je ressens, donc je suis vivant·e·x.

Le piège du “trop”

Mais cette intensité a un revers.
Dans une société qui valorise le contrôle, être hypersensible, c’est souvent être jugé.
Trop émotif·ve·x, trop intense, trop dramatique.
Et dans le monde queer aussi, il y a parfois une injonction à la force, à l’ironie, à la fierté sans faille.
Or, quand tout te touche, cette performance peut devenir épuisante.

J’ai longtemps voulu me blinder.
Répondre avec humour, rester détaché, me convaincre que je pouvais encaisser.
Mais chaque carapace finit par se fissurer.
Et sous les éclats, il y a juste ce que j’ai toujours été: un être poreux, qui ressent trop fort pour ce monde-là.

Réapprendre la douceur

Alors j’ai commencé à désapprendre.
À ne plus me défendre de mes émotions, mais à les apprivoiser.
À me dire que pleurer n’est pas un échec, que s’émouvoir n’est pas une faiblesse.
Que ma sensibilité n’a pas besoin d’être corrigée, seulement comprise.

Être queer et hypersensible, c’est souvent vivre dans le paradoxe:
vouloir être vu·e·x et vouloir disparaître,
désirer le lien et craindre d’être blessé·e·x,
être traversé·e·x par le monde mais vouloir en garder la distance.

Et peut-être que la douceur est justement là: dans cet équilibre fragile entre l’ouverture et la protection.

Vers une tendresse radicale

Je crois que la sensibilité queer est une force politique.
Parce qu’elle refuse la logique du détachement.
Parce qu’elle transforme la douleur en soin, la peur en art, la solitude en communauté.
Parce qu’elle continue d’aimer, même quand le monde ne le mérite pas.

Être queer et hypersensible, ce n’est pas un double fardeau: c’est une double lucidité.

C’est sentir avant de comprendre, comprendre avant de juger.
C’est avoir la peau fine, mais le coeur vaste.
Alors oui, je suis sans doute les deux.
Queer, hypersensible, ou les deux à la fois.
Et j’ai décidé d’arrêter de choisir.