Petite philosophie
Chapitre 6: humeur de bonze avec le 111.
Il est hélas révolu le temps où ces dames du 111 décrochaient le combiné à deux pas de chez vous. Où il suffisait de situer vaguement la rue où se trouvait ce fameux tea-room – «mais si Madame, au-dessus de la Fontaine de l’Escalade, avec une vitrine un peu kitsch et des chaises en bois genre carnotzet» – pour que la dame en question vous rétorque «ah! oui, je connais bien, il s’agit de la Tasse Fumante, je vous donne le numéro, au revoir Monsieur…»
Aujourd’hui ces dames ont été déportées dans la campagne fribourgeoise la plus improbable, et encore si elles ont la chance de travailler pour Swisscom, sans quoi, elles croupissent au troisième sous-sol d’un hypothétique container à bureaux planqué dans une commune-banlieue de la région zurichoise,
aussi défiscalisée qu’impossible à prononcer, flanquée de surcroît d’un suffixe en «kon», révélant la façon et la manière qu’a le protestantisme libéral de considérer la délocalisation rurale de ses entreprises de service… Là, des saisonniers tessinois s’excusent platement de ce que vous avez été mal aiguillé par un central aussi schaffhousois qu’inepte et vous demandent de rester en ligne le temps de trouver quelqu’un qui a choisi l’option dialecte d’avant-guerre à l’école et manie donc vaguement les subtilités de la langue française.
Celles qui passaient autrefois pour les hôtesses de l’air des télécommunications, à l’époque où Telecom n’avait pas encore de velléités de se délocaliser aux frontières de la Guerre froide, en sont réduites aujourd’hui à plaindre le temps de leur jeunesse et à radoter à des étudiantes fribourgeoises des souvenirs de PCV de Macao ou d’interurbains exotiques auxquels même une étudiante en théologie catholique n’est plus prête à accorder sa foi.
Alors, un peu de compassion, nom de dieu!
Ce d’autant qu’aujourd’hui le renseignement est facturé à prix fixe et non plus à la seconde. Profitez-en et discutez le bout de gras avec Tiffany Meylan ou Josiane Bochatey, puisqu’elles ont la politesse de décliner leur identité en décrochant. Présentez vos hommages, donnez leur des nouvelles du pays, enquérez-vous de leur santé et alors, et seulement alors, demandez à Genève, le numéro d’un salon de thé baptisé la Tasse Fumante, sis Grand-Rue.
Au moment où le serveur vocal pré-enregistré par une comédienne qui a la chance d’avoir trouvé un travail vous épelle sur un ton de logopédiste des beaux quartiers s’adressant à sa femme de ménage le numéro que vous avez demandé, de grâce, perdez cette fâcheuse habitude de hurler «connecte» dans le bitonio sans fil qui a remplacé vos amis au fond de votre poche et dont les radiations ont le bon goût de vous interdire désormais l’espoir de voir vos gènes se reproduire. Optez plutôt pour la touche 5 et épargnez à la cent-onziste vos aboiements. Car vous ne le saviez peut-être pas, mais la dame est obligée de rester en ligne jusqu’à ce que vous raccrochiez. Et dans la solitude de l’auditeur, elle assiste, muette, à vos vaines tentatives de faire reconnaître votre voix de stentor par un serveur vocal qui, nous vous le rappelons, a été programmé par un informaticien schaffhousois qui prononce le français comme un bouquetin tessinois.
L’espace dévolu à cette chronique est décidément trop étriqué, mais nous sommes certains que vous aurez retenu l’esprit et saurez vous en inspirer pour remonter votre col, moucher votre nez et dire merci à la dame…
Le mois prochain: Du bon usage du cani-propre ou de l’impérieuse nécessité de ramasser la crotte au pitbull et de la fourrer fissa au fond de sa poche!