Takashi Miike ou le non sens de la vie
On le dit déjanté, on l’accuse d’être misogyne, on le trouve pervers. Takashi Miike est surtout le plus prolifique et le moins conformiste des cinéastes contemporains. Ni révolutionnaire, ni révoltant, il enchaîne les tournages comme un drogué de la caméra. Sa moyenne? Huit films par an depuis dix ans.
Après un rapide calcul, une constatation: un seul de ses films est sorti en Suisse, Audition (en 2002). «Renversant», pour certains. «Dérangeant», pour les autres. «Pas le plus représentatif», pour ceux qui connaissent sa carrière. En début d’année, le festival Black Movie a présenté sa trilogie défoncée, Dead or alive, alors à l’affiche en France. La meilleure manière de suivre sa filmo reste un déplacement dans les festivals du film fantastique, de préférence, comme celui de Neuchâtel, dont la 5e édition a lieu du 29 juin au 4 juillet. Il y a deux ans, Miike y remportait le Prix spécial du jury avec le décapant Ichi the Killer. Rebelote l’an dernier avec Gozu, comédie yakuza qui vire lynchienne.
Cette année, on attendait en sélection son Zeburaaman, histoire de super-héros sûrement gratinée de plans gore et d’humour ravageur. Presque de l’acquis. C’était sans compter les conflits de distribution et une fallacieuse excuse de «manque de copies». Exit Miike. «Mais on a un film japonais qui sent le Miike avec une réalisation largement supérieure, assure Olivier Müller, directeur du festival. Il s’agit de The Taste of Tea, sorti tout droit de la Quinzaine des réalisateurs à Cannes.» De la Quinzaine? Aussi déjanté? On demande à voir, au milieu d’une sélection très prometteuse, dont on recommande le merveilleux film de Guy Maddin, The saddest Music of the World, porté par une Isabella Rosselini plus glamour que jamais, assurément le Grand prix. On prend les paris… mais ceci est une autre histoire.
Mais qui est donc ce Japonais qui tourne aussi vite que le planitronk de Goldorak? Le rencontrer tient de la science-fiction. Vu son rythme de production, il ne s’évade que rarement de son île natale. La dernière fois, c’était au festival de cinéma de Sitges, en Espagne, qui présente chaque année au moins quatre de ses œuvres. Rendez-vous est pris pour une interview. Comme tous les grands du cinéma japonais, Miike ne parle que japonais. Interprète au secours! Celle-ci parle anglais, très bien, jusqu’au moment de l’écoute de la cassette de l’enregistrement au retour. L’accent japonais de l’interprète prend le dessus, on revient en arrière, une fois, quinze fois, rien n’y fait. Miike parle de longues minutes – c’est beau le japonais – et elle traduit… trois mots. Je comprends «sorrows», «giving the flashlight to the people», «passion». Vite, reprendre ses notes. Vive les carnets de note!
Je retrouve Miike le soir, dans un night-club. Toujours le même look, veste en cuir de motard blanche et rouge, lunettes de soleil. A travers les lunettes, un regard, doux et dingue. Quelqu’un qui sourit de la vie, car il a une passion: le cinéma. Depuis dix ans, quand il a décidé de se faire tout seul. Il a aujourd’hui 43 ans et cette passion durera tant qu’il en aura envie. «Ça fait deux ans que je n’ai pas vu mes parents. Mes enfants, ça fait six mois.» (Traduction de son assistant, plus à l’aise en anglais que sa collègue). Aller dans les festivals, c’est pour lui des vacances. Il en profite d’ailleurs pour voir ses propres films, enfin. Au fait, misogyne Miike? Mais non, «C’est juste que la femme est impossible à comprendre.» Et il rigole, avant de partir sur la piste de danse. Rien n’arrête quelqu’un qui a la passion.