Sion

Lancement de la Pride 2024

sam 20 avril, 21:00
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#Humour

Edwin Ramirez

ven 26 avril - dim 28 avril
Lausanne

Bordello Chulo

dim 19 mai, 23:00
Lausanne
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The Armed

mer 5 juin, 19:30

Le mystère du couple invisible

Où donc domine le plaisir? Dans la jouissance d’une liaison secrète ou dans celle d’une relation librement et pleinement vécue?

– Allô?
– Salut Sandra. C’est Hervé.
– Hervé?! Ça alors, ça fais un bail!
Comment tu vas?
– Bien.
– Que me vaut l’honneur de…
– Ecoute…voilà: j’ai un copain…
– Un copain?!? Heu…waouh, quelle nouvelle!
Mais…enfin, toi et Mélanie…
– Non. Il s’appelle Léo… et je suis heureux.
– Pfff… c’est dingue! Je suis émue… tu vois,
je savais pas pour toi, alors… Merci de me
le dire. Mais, heu, vous vous êtes rencontrés
comment? Ça fait longtemps et…
– Non. Juste ça. J’ai un copain. J’avais besoin
de le dire à quelqu’un. Au moins une personne,
tu sais, pour que ça existe. S’lut.
– …
Un mardi, 2h00 du petit matin…

Il est un casse-tête de logique pure, entendez un parfait exemple de jugement a priori, mais dont le raisonnement résonne bancal, sans toutefois que l’on puisse en trouver la cause dans les prémisses que le professeur aime à servir encore fumants à ses élèves: celui de l’arbre qui tombe dans le désert: «Un arbre dans le désert. Nous disons qu’il est là. Cet arbre tombe. En tombant, il fait du bruit. Le bruit devient témoin de sa chute. L’arbre est tombé. Seulement voilà, si personne n’est là pour le voir et l’entendre tomber, cet arbre est-il vraiment tombé? Autrement dit, et plus en amont, sans un regard extérieur à la situation mais faisant partie de la réalité humaine prenant conscience et acte de l’existence de cet arbre, ce dernier existe-t-il seulement?» Et les élèves d’entamer un lamentum déchirant…

Posée façon ellipse de griot africain un soir de lune noir au ventre d’un baobab, la problématique peut certes sembler farfelue. Et pourtant, en la transposant ici et maintenant, et en remplaçant l’arbre par un couple homosexuel qui hésite à se dévoiler en tant que tel, la voilà qui prend un chouïa plus d’ampleur, à tel point en fait que, l’espace d’une réflexion, nous décidons de nous y plonger. Pas question ici de balancer ce couple de filles du haut d’un clocher histoire de voir s’il fait du bruit en arrivant sur le pavé. Nous ne le ferons d’autant moins qu’avant de savoir s’il y aura bruit ou pas, il nous faut nous poser la question de son existence propre: si personne ne les voit, ne les entend, ne les… soupçonne et si elles-mêmes s’amourent en secret, ce couple de filles existe-t-il?

Le frisson de l’interdit
Au rayon «self help» de toute librairie qui se respecte en ce tournant décisif de millénaire et d’éveil subtil, flirtent impunément nombre d’ouvrages destinés à tordre le cou à la flemme du couple, en dix leçons s’il vous plaît. Or, implacablement, «l’éloge du secret dans le couple» nous saute à la figure en leçon 7. Il est important, voire crucial, nous dit-on, de garder une part de mystère au sein d’un couple si l’on veut préserver l’insolite de l’union. Le jardin inconnu de cet autre avec qui pourtant nous partageons quotidien, repas et couche n’aura de cesse de titiller notre flamme, ce qui aura le mérite de nous maintenir en situation d’étonnement donc de ne pas nous… dissiper. Le conseil semble judicieux.

Mais apposons maintenant cette notion de secret extra muros: Jacques et Jean sont deux bellâtres que l’on voit souvent ensemble, les meilleurs amis du monde en somme, disent leurs proches. Va pour la forme. Le fond quant à lui est d’une tout autre ampleur: J & J sont amis, certes, mais amants aussi qui partagent intimité, compte bancaire et vacances à Mykonos. Mais ça, ils sont les seuls à le savoir, l’existence de leur couple reste secrète. Les voilà donc liés par un pacte tacite qui, à force de se vouloir silencieux et invisible, débouche sur une relation d’initiés privilégiés. Seuls les initiés en effet ont accès au secret. Aux yeux du quidam, ils sont les «bons copains» et en jouent: regards de biais, rires entendus, camper sous table et, car le goût du risque aiguise le plaisir, baiser volé au détour d’un vestibule. Le frôlement d’épaule prend soudain une ampleur insoupçonnée et l’idiosyncrasie développée pour peaufiner le code est délicieuse, tant elle crée une sphère intouchable; sentiment d’être hors cadre, par delà les règles et les regards, à l’abri du train train, bref, on exulte.

Oui, mais. Ne risque-t-on pas, à force de jouer les hommes invisibles, de le devenir vraiment? Car enfin, le regard de l’autre, outre les idées, jugements ou projections qu’il comporte, n’est-il pas également présent pour prendre «acte de»? Et lorsqu’il prend acte, qu’il nous renvoie à nous-mêmes, il atteste en cela de notre existence. Le grand Saint-Thomas dirait: «Je vois, donc je crois». A quoi on pourrait cependant opposer le «cogito ergo sum» de Descartes, je pense donc je suis, j’existe en moi et par moi, indépendamment du regard d’autrui. J & J existent en tant que couple, même si celui-ci demeure invisible aux yeux d’autrui. Oui, mais pendant combien de temps? Car bien que la vision s’avère fort romantique, tout entourée des limbes aphrodisiaques du mystère des amours interdites, elle n’en n’est pas moins risquée: tout secret implique sinon mensonge, tout au moins dissimulation; et alterner sincérité et dissimulation sous-tend une extrême vigilance qui, fatalement, épuise, même si ceux qui la pratiquent sont au clair avec eux-mêmes.

Le plaisir de dire
Ne pas exister aux yeux d’autrui c’est aussi évoluer en état de clandestinité. Or une des caractéristiques des clandestins consiste à surveiller attentivement tous leurs faits et gestes, histoire de ne pas être repérés. Le frôlement d’épaule de tantôt se retrouve forcément dépouillé de son essence insolite. Attention, à ce train-là on vire rapidement amer, car force est de constater que le fameux ciment du couple, l’Amour, n’a pas d’élan que le nom. La substance même de l’Amour est élan, et sa condition première, spontanéité, absence de joug, mouvement non brisé. Et qu’ont en commun les faits et gestes du clandestin et la spontanéité? Nada. Le calcul n’est jamais spontané.

Et n’est-ce pas un des ravissements du couple que d’être spontanément un couple… de le dire, le partager avec des tiers? On dit de la connaissance qu’elle ne vaut que si elle est partagée. Ne serait-ce pas également le cas pour le couple?

Partager l’existence de son couple avec autrui lui confère une habilitation, un caractère qu’il n’est pas licite, surtout pour un couple homo, est au moins réel. De plus, à travers son couple, c’est aussi l’individu qui se place en adulte par rapport à sa famille, ses amis et la société: former un couple signifie être «capable» d’amour et d’être aimé, ce qui témoigne d’une maturité affective; le dire souligne que la vie de couple revêt une importance centrale dans la vie de chacune des deux personnes, ce qui les «dédouane» d’un comportement dit infantile car célibataire.

Vivre son couple en secret, et donc le nier d’une certaine manière, c’est aussi faire ami-ami avec un mensonge qui, loin de rester immobile, va rapidement croître en surface et en profondeur et se compliquer avec le temps. Le risque est prévisible: phagocyte, le mensonge n’hésitera pas à faire trembler les édifices du couple! Il paraît donc clair que passés les premiers émois d’une histoire toute en mirages et en clins d’œil, le prix à payer reste violent et le piège du vase clos bien réel: l’implosion.

Il semble pourtant douteux que le couple homosexuel puisse réellement exister totalement, si on entend «exister» comme apparaître sans contradictions: l’homosexualité est une contradiction car elle n’est pas la norme; et donc, n’étant pas la norme, il y aura toujours des situations où il faudra faire semblant d’être hétéro, puisque nous vivons dans une société hétéro… Quoi? Cette femme resplendissante et magique, qui m’accompagne à ce cocktaïl euh…? C’est ma roommate…of course…argl…

Certains couples aiment l’anonymat, le vivent très bien et ne le quitteraient pour rien au monde. Reste qu’il devient de plus en plus vital de se donner à voir et à vivre. A témoin, la mobilisation pour le Pacs et autres bidouillages. Mais à l’écart du bruit, il suffit juste, parfois, de se faire entendre. Le dire ne serait-ce qu’à une seule et unique personne, tard dans la nuit, le temps d’un crépitement de téléphone… Pour que ça existe.

-Voilà, je vous laisse remplir le formulaire, la doctoresse va vous recevoir tout de suite.
-Merci. Bon, alors, nom, prénom, date de naissance, voui… voilà… profession… mmhmm… état civil?… heu… célibataire? non… Mariée? beuh, non plus, hihi… ouais… mais quoi alors? homo? c’est pas un état civil, ça, c’est à peine qualifié de civilisé… concubinage? eurk… en couple?… amoureuse? heureuse?… et pourquoi y’a que marié et célibataire d’abord? pourquoi y a pas «autre», hein ?!? Comme les religions? Serai-je donc éternellement célibataire côté paperasse ?!?
16h30, chez ma gynéco…