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Faut-il squatter le monde ou le changer?

Le terme de minorité est aujourd’hui de plus en plus utilisé en Europe, pour penser et mobiliser des groupes socialement opprimés: minorités ethniques, religieuses, sexuelles, etc. Cependant, si elle a indéniablement permis de prendre en compte des formes de domination sociale autrefois peu problématisées, la notion de «minorité» présente de nombreuses limites politiques. C’est ce que cet article se propose d’examiner à propos du cas des «minorités sexuelles».

Dans les sociétés actuelles, les homosexuels sont en minorité: c’est à peu près le seul fait sur lequel tout le monde s’accorde. Car des divergences émergent dès que l’on s’interroge sur la nature et l’origine de cette «minorité». Les homosexuels sont-ils dominés parce que numériquement moins nombreux ou bien au contraire la domination sociale joue-t-elle un rôle dans la formation des «minorités» en découpant les individus en catégories sur la base de leurs comportements sexuel et/ou affectif, et en leur donnant l’allure d’une «race»? Rappelons que le concept même de «minorité sexuelle» est indissociable de l’histoire du mouvement homosexuel lui-même. Au sein de la Mattachine Society, association précurseur du mouvement «gay» contemporain créé en Californie en 1948, le débat faisait déjà rage. Il opposait les partisans de l’«assimilastionnisme» pour qui les homosexuels sont un groupe exclu de la société conservatrice, dans laquelle ils doivent retourner et se faire accepter, et les militants proches du parti communiste américain pour qui les homosexuels sont une minorité au même titre que les Noirs, et doivent donc accomplir un mouvement de libération similaire, exister publiquement et collectivement en tant que minorité constituée. Ces deux pôles d’attraction renvoient en fait à des stratégies de légitimation de l’homosexualité différentes.
Alors que les conservateurs expliquent (aux dominants) que les homosexuels sont aussi conformistes et «normaux» que les autres, les radicaux défendent quant à eux l’idée que les homosexuels ont une mission politique de subversion qui les rapproche des marginaux et des révolutionnaires.
Les «intégrationnistes» cherchent à s’intégrer au camp des dominants pour participer avec eux à la domination sur les autres catégories opprimées (prostitué(e)s, sans papiers, femmes, chômeurs, etc.). Ils condamnent ainsi comme «communautarisme» et «exhibitionnisme» toute expression culturelle qui tend à revendiquer une différence ou tout simplement le plaisir d’être soi et entre soi. On dénonce le «ghetto» de l’extérieur (parfois de l’intérieur) sans se rendre compte que les libertés nouvelles et les nouveaux droits doivent leur existence à une communauté dynamique et mobilisée. Paradoxalement, en embrassant des valeurs qui les excluent, et en cherchant à se faire une place dans les interstices des normes sociales qu’ils ne peuvent respecter sans les déformer, les homosexuels les plus «assimilationnistes» opèrent, malgré eux, une dénaturalisation des normes et des institutions sociales qui les soutiennent (exemple: la revendication du mariage et de l’adoption). Du côté du pôle radical, plus volontiers «séparatiste», on tend à opposer entre elles diverses «minorités» en les renfermant dans leurs expériences respectives, pensées comme irréductibles.
On cherche à faire de la «différence» le point de départ d’une politique de la minorité en insistant sur tout ce qui sépare les homosexuels des «normaux». Dans cette logique, les minorités sexuelles (LGBT) ne pourraient se libérer qu’en construisant des zones de liberté autonomes au sein desquelles leurs membres peuvent se reposer et exprimer leur «vraie nature». Ceux qui ont renversé la honte en «fierté homosexuelle» (gay pride) vivent donc assez mal le réveil ambigu des parties les plus «placardées» et conservatrices. Celles-ci réagissent à la nouvelle visibilité, acquise non sans lutte, en mettant en valeur leurs similitudes avec les dominants, au besoin en cultivant un dégoût affirmé pour les «folles» et les «pervers multipartenaires». Comme pour justifier qu’ils sont, eux, des homosexuels «normaux», qui s’aiment comme tout le monde. Ce conservatisme est d’autant plus mal vécu par les franges radicales que, plus proche du monde du pouvoir, ce pôle «conservateur» s’autoproclame représentant «des» homosexuels au sein des institutions publiques.

Un échec politique?
Malgré leur évidente opposition, ces deux pôles «conservateurs» et «radicaux» ont ceci en commun qu’ils ne remettent pas en cause l’idée que les homosexuels seront toujours une «minorité» et surtout que leur statut minoritaire préexiste à l’oppression sociale et à la discrimination dont ils sont encore l’objet. Dans une perspective différente, on peut au contraire analyser «assimilationnisme» et «séparatisme» comme deux formes de défaitisme politique ; qu’il s’agisse de se conformer aux normes dominantes en matière de sexualité et de politique familiale, ou au contraire de construire des sous-mondes alternatifs, chacun à sa manière considère comme immuable l’idée de la domination hétérosexiste, reconnaissant les principes de division et de hiérarchisation entre les sexualités qui accompagnent l’oppression, sinon qui la produisent.
Même les positions les plus radicales n’échappent pas au piège de l’assignation à la subversion et à la différence. Car se contenter d’être la mauvaise conscience de l’ordre socio-sexuel revient ni plus ni moins à justifier la position dominante de cet ordre en se posant comme l’exception qui confirme la règle. En effet, dans nos sociétés républicaines et laïques, c’est avant tout le référent à l’universalité qui produit des minorités comme privation de cet universel (voir le débat sur le voile islamique en France). Par conséquent se résoudre à se séparer des «normaux» revient à admettre son statut de «communauté» et de «minorité», accepter de se penser et de se vivre comme différent (qui se différencie). Cette stratégie ne revient-elle pas à abandonner aux hétérosexuels le monopole de la société en général, de la non-différence, leur laissant le privilège de définir ce qu’est l’universel? Il y aurait ainsi des groupes «différents» et des groupes non différents. La différence étant utilisée comme stigmate et marqueur social venant justifier les discriminations symboliques et politiques.

Contre nature ou contre norme?
Historiquement, l’identité minoritaire est devenue le référent des groupes dominés qui cherchent à réclamer leurs droits et à redéfinir positivement les catégories initialement destinées à les assujettir (la catégorie psychiatrique «homosexuel» étant rejetée en faveur d’un nouveau signifiant «gay»). La forme qu’a pris le mouvement de revendication des droits civils aux USA dans les années 1950 et 1960 a été constituée en modèle pour les luttes qui ont suivi. Les Noirs, a-t-on raisonné, sont discriminés en raison de leur «couleur», c’est à dire à cause de ce qu’ils sont et non de ce qu’ils font. L’idée était simple en apparence: la couleur est une qualité neutre par excellence, politiquement et moralement. Se fondant sur un trait si insignifiant de l’apparence physique, le racisme apparaissait comme absurde. Du fait du succès remporté par le mouvement «Black», les mouvements sociaux ultérieurs (libération des femmes, des gays, des minorités ethniques) ont avancé des revendications qui mettaient l’accent sur leur «être» plutôt que sur leur «faire», renonçant ainsi à un projet politique qui s’attaque directement aux normes sociales dominantes. Si les homosexuels pouvaient fonder leurs demandes dans leurs gènes, alors le cadre multiculturaliste américain ne pouvait rejeter leurs revendications. Ce sont également des dispositions juridiques américaines spécifiques facilitant les pratiques d’«affirmative action» (discrimination positive) pour les minorités constituées et discriminées sur la base d’éléments biologiques «objectifs» (par exemple l’accès facilité aux bourses universitaires pour certains groupes ethniques) qui expliquent que de nombreux homosexuels aux USA soutiennent les recherches pseudo-scientifiques (à ce jour sans succès) d’un «gène» de l’homosexualité. A quand la recherche du gène du sniffeur de chaussettes? Cette stratégie identitaire n’a pas porté les fruits escomptés car l’homosexualité est encore très souvent perçue – c’est l’argument principal du lobby conservateur chrétien américain – comme un simple comportement (comme elle l’était déjà avant l’invention du terme «homosexuel»). Et cette distinction est également la raison «officielle» du refus des héritiers contemporains du mouvement noir de reconnaître le parallèle avec le mouvement gay avec lequel il refuse de se solidariser.
De plus, la stratégie de légitimation identitaire ne tient pas compte du fait que l’homophobie quotidienne se joue à un niveau en dessous du débat philosophique (vain) entre déterminisme biologique (nature) et comportement sexuel (choix). Elle s’inscrit plutôt dans le cadre de la haine ordinaire propre à tous les racismes qui consiste à imputer à autrui la responsabilité des problèmes sociaux et économiques d’un pays (déclin des valeurs morales, immigration, etc.). C’est pourquoi il semble dangereux à terme pour les homosexuels (en plus d’être faux, sauf au sens ou la nature d’un individu n’est pas une donnée biologique mais un édifice en chantier permanent) de présenter leur contre-norme comme quelque chose de «naturel»: la naturalité n’étant en rien une protection contre la haine ordinaire. Le véritable problème étant que, finalement, qu’on le «soit» ou qu’on le «fasse», l’homosexualité est de toute façon «déplorable». Mais, s’il n’y a plus rien à déplorer, alors ce faux débat ne perd-il pas son apparence de sens?

Les pièges du discours identitaire gay
Certes, l’illusion d’une «identité homosexuelle» permet de rebondir politiquement pour revendiquer «en tant que» et gagner des droits. Mais les combats qui se fondent sur un discours «identitaire» courent le risque de nier l’existence au sein même du groupe conçu sur un mode «ethnique» de la lutte interne pour définir la représentation légitime du «nous». En réalité, les discours homogénéisant, qui y ont cours sont toujours intéressés. Qui a intérêt à insister sur les caractéristiques uniques et incompréhensibles par les autres des formes de domination (seul un noir peut comprendre un noir, seul un gay peut comprendre un gay, une femme une autre femme, etc.), sinon ceux qui, dans chaque groupe, sont les maîtres chez eux, c’est à dire dominants sur les autres membres du groupe? En posant la nécessité d’une continuité entre représentant et représenté, ce discours présuppose une fausse homogénéité du groupe et produit en retour l’homogénéisation mythique de ce groupe aux yeux du reste de la société. Cette homogénéisation fonctionne comme un autre instrument de domination contre ceux qui n’ont pas les ressources pour participer à la lutte pour le monopole de la représentation minoritaire. Ainsi, le gay représentant le «gay» aura toute les chances d’être blanc, de classe moyenne.
Le discours «ethnique» entrave aussi la prise en compte des relations politiques entre les différentes formes d’oppression sociale, en autorisant tous les conservatismes de chapelle. Il ne permet pas de penser ces relations complexes, sinon en terme de «minorité dans la minorité», ne faisant ainsi que déplacer le problème. Il tend à reproduire au sein de chaque minorité particulière les schémas dominants de l’oppression (homophobie des noirs, racisme des gays, sexisme des mouvements ouvriers) avec tout un ensemble de conséquences néfastes sur l’organisation interne de ces groupes et finalement un renforcement de l’oppression pour tous, réalisant ainsi l’ambition de la plupart des pouvoirs: diviser pour mieux régner.
Revenons aux questions sexuelles. Plutôt que de penser la domination hétérosexiste comme la conséquence naturelle de la minorité numérique et historique des homosexuels, il s’agirait au contraire, pour sortir du dilemme, de comprendre la «minorité» comme une situation d’oppression, c’est-à-dire ni comme une illusion, ni comme une nature éternelle. D’abord une situation d’oppression où une catégorie imposée (ce sont des homosexuels) engendre une solidarité objective entre des personnes qui, sinon, n’auraient pas grand chose à faire les unes avec les autres. Ensuite une réponse statégique à cette situation d’oppression, par la constitution d’une «minorité» politiquement et socialement visible (associations de défenses des droits de personnes homosexuelles). Si les gays et les lesbiennes peuvent se dépasser en tant que minorité, ce n’est donc pas en se fondant dans les normes et les hiérarchies dominantes d’une société hétérosexiste, mais plutôt en cherchant à renverser un système de domination qui les a conduis à se constituer en minorité, en s’appuyant sur leur statut durement acquis pour mettre à jour et contester le processus même de minorisation. Cette perspective pourrait déboucher sur une stratégie qui, en faisant du «séparatisme» un moment nécessaire mais non suffisant de la libération, ne se contenterait plus de squatter le monde à la marge, mais chercherait aussi à le changer en profondeur.